Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
416
REVUE DES DEUX MONDES.

rience profonde et la raison persuasive, à qui il était réservé d’illustrer le soir de sa vie par de nouveaux et plus éclatans services, en prouvant que le pouvoir de faire le bien appartient à celui qui sait avoir des idées nettes dans le trouble de toutes les idées, une volonté ferme dans l’incohérence de toutes les volontés.

La France est une grande convalescente qui exige bien des soins, et l’Europe elle-même en vérité ne semble pas des mieux portante. C’est à se demander si, après avoir assisté à ce terrible drame, « auquel elle n’a apporté qu’une main trop réservée, » selon le mot de M. Thiers, elle n’est pas aussi vaincue que nous sans avoir combattu. L’Angleterre du moins se consolait en se persuadant à elle-même que c’était elle qui par sa politique avait contribué à limiter la lutte. Pas du tout : cette dernière consolation ou cette illusion ne lui est plus permise. Le roi Guillaume renvoyait tout récemment l’honneur à qui de droit, il remerciait l’empereur Alexandre de Russie d’avoir empêché la guerre de prendre des proportions extrêmes, » et tout indique aujourd’hui qu’il y avait dès la première heure un traité entre Saint-Pétersbourg et Berlin. La Prusse a pu faire ce qu’elle a voulu, la Russie de son côté y a gagné de biffer ce qui restait de la guerre d’Orient en reprenant sa liberté dans la Mer-Noire. L’Angleterre sait à quoi s’en tenir, et l’Autriche, elle aussi, ne peut plus ignorer maintenant qu’elle avait, pour nous servir d’une expression vulgaire, la main sur le collet. C’est un étrange rôle pour des puissances qui ont quelque sentiment d’elles-mêmes. L’Europe recueille aujourd’hui le fruit de son indifférence pour nous et de ses faiblesses. Elle a vu sans rien dire passer triomphant le droit de la force, et sait-on ce qu’elle y gagne ?

Certes la paix était toujours précaire avant la dernière guerre, elle l’est bien plus encore désormais. On s’épuisait de toutes parts en armemens ruineux ; mais cela ne suffit plus, à ce qu’il semble, dans la situation nouvelle créée par le système prussien. L’Angleterre s’est hâtée de proposer au parlement des mesures pour la reconstitution et l’augmentation de ses forces. La Russie s’occupe de réorganiser son armée dans des proportions formidables. Le ministre de la guerre, le général Milutine, soumettait récemment à l’empereur deux mémoires, l’un sur le développement des forces militaires, l’autre sur l’obligation personnelle au service. L’Italie elle-même en est à s’imposer des dépenses de 350 millions pour reconstituer ses défenses militaires. Allons, l’Europe peut se réjouir de la situation qu’elle s’est faite : la paix est en sûreté, puisqu’elle est sous la garde de M. de Bismarck !

ch. de mazade.

C. Buloz.