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litique. L’un demande qu’on proclame l’indignité de tous les complices de l’empire ; il n’oublie qu’un détail, il ne dit pas en quoi consiste cette complicité, à quel signe on peut la reconnaître, si l’indignité qui frapperait par exemple un député devrait aussi atteindre ceux qui l’ont nommé. Un autre dépose gravement une pétition demandant que la Corse soit exclue de la république française ! Un troisième, et celui-ci sûrement avec les meilleures intentions, veut qu’on provoque une vaste émigration des Alsaciens, qu’on offre à nos malheureux compatriotes des terres en Algérie. Rien de mieux ; la France doit toutes les compensations à ceux de ses enfans dont elle est condamnée à se séparer ; seulement rien ne sourirait mieux sans doute à M. de Bismarck, qui se montrerait tout prêt à encourager cette émigration : ce serait le moyen le plus infaillible pour favoriser la germanisation de l’Alsace. Et si la France, après avoir été impuissante à garder cette vaillante province, avait le droit de parler à ces Français d’hier, qui veulent rester Français, elle ne pourrait que leur dire d’accepter cette épreuve qui leur est infligée, de ne point se séparer de leur sol et de leurs foyers, de raviver sans cesse leurs espérances dans le malheur par le souvenir fidèle de la patrie, qui ne les oublie pas. Ce projet irréfléchi serait évidemment peu politique, et des députés, français devraient être aussi embarrassés pour l’approuver que pour le repousser ; c’est l’inconvénient de toutes ces propositions.

Il y a deux dangers pour cette assemblée, le danger de toutes ces motions inutiles qui vont se perdre dans le tourbillon parlementaire, et le danger des excitations violentes, de ces irritations qui sont le stérile triomphe de l’esprit de parti. Cela n’est pas douteux, l’assemblée nationale se ressent des conditions où elle a été élue. Elle est pleine de malentendus orageux ; elle porte en elle-même des idées, des tendances, des préjugés, qui se sont déjà heurtés bruyamment, et qui sont destinés à se heurter plus d’une fois encore. Les instincts de réaction s’entrechoquent avec les instincts révolutionnaires, et les uns ne sont peut-être pas plus raisonnables que les autres. On dirait au contraire que les événemens qui ont un instant interrompu la vie commune de la France ont rendu ces luttes d’opinions plus irréconciliables en les compliquant d’élémens nouveaux, de passions plus ardentes. Chose plus grave, ces luttes d’opinions, toujours périlleuses par elles-mêmes, se précisent et se concentrent aujourd’hui dans cet antagonisme entre l’esprit provincial et Paris qui vient de se manifester en pleine assemblée. Oui, à toutes les questions qui nous divisaient déjà est venue se joindre une question plus délicate et certainement plus dangereuse que toutes les autres, celle de la capitale et du siège du gouvernement de la France. La province s’insurge contre la domination de Paris ; elle répugne visiblement à revenir siéger parmi nous, et M. Thiers a eu en vérité quelque peine à convaincre cet honnête provincialisme qu’on ne gouverne pas la