Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans notre ignorance des conditions d’une lutte où nous entrions sans nous douter ni de nos faiblesses ni des forces de nos adversaires. La revanche, ce n’est guère le moment d’en parler, quand le sang coule encore de toutes les blessures de la France, quand ces richesses dont nous tirions vanité vont passer entre les mains de l’ennemi ; cette revanche, on la prendra lorsqu’on aura su s’y préparer, lorsqu’on l’aura méritée, et M. Thiers lui-même, au moment où il proposait à une assemblée française une paix si douloureuse, M. Thiers traçait le programme de cette œuvre nouvelle qui s’impose désormais à tout le monde dans notre pays. Non certes, la France n’est pas près de périr ; elle retrouvera des destinées meilleures, si elle le veut ; mais c’est « à la condition que nous aurons enfin du bon sens, que nous ne nous paierons plus de mots, que sous les mots nous voudrons mettre des réalités. » Tant que nous nous paierons de mots et de déclamations, nous ne serons pas une nation sérieuse, nous ne mériterons pas d’être pris au sérieux. Être une nation sérieuse, c’est là toute la question telle que M. Thiers l’a résumée d’un trait, et on n’est incontestablement une nation sérieuse que par le travail, le respect de la vérité, le sentiment de tous les devoirs publics, la discipline volontaire dans la liberté. Cette république même qu’on veut fonder, elle n’est possible que si, après avoir épuisé jusqu’au bout la fatalité d’un désastre dont elle n’était pas responsable, elle devient l’instrument des grandes réparations nationales qui sont aujourd’hui l’unique, la souveraine obsession de toutes les âmes.

Il faut s’accoutumer à faire simplement, modestement, des choses utiles pour apprendre à faire virilement de grandes choses, lorsque l’heure reviendra. Il faut bien se dire que nous avons toute une éducation publique à recommencer, notre puissance militaire à reconstituer, nos finances à réorganiser de façon qu’elles puissent porter sans fléchir le fardeau d’une rançon sans exemple, — et la première condition, c’est l’ordre dans les idées comme dans la rue, c’est la paix dans les esprits et dans la cité. Sans l’ordre moral et la paix intérieure, rien n’est possible, et tout ce qui prolonge ou entretient l’agitation ne met pas seulement en péril la sécurité de tous les jours, c’est une véritable déviation, une défection de sentiment national devant l’ennemi. Nous ne sommes sortis que d’hier d’une lutte gigantesque qui a laissé des traces profondes ; le pays avant tout a besoin de reprendre son équilibre, et d’étranges patriotes nous convieraient, s’ils le pouvaient, aux douceurs du chaos. Ils nous offriraient pour nous régénérer la révolution après la guerre. Nous n’avons pas assez souffert des dictatures, à ce qu’il paraît, chacun de ces grands patriotes veut se faire dictateur. Une assemblée élue par le pays, par le suffrage universel, existe à peine, on conteste ses droits et son autorité, on la déclare dissoute, on se fait un jeu d’avilir la souveraineté nationale. Un gouvernement sorti de cette assemblée