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mongoles et l’on vient camper près d’une lamaserie. C’est un endroit délicieux ; un torrent limpide roule sur des cailloux, il y a des bois touffus. On ne voit pas, il est vrai, de grands arbres, mais on admire une foule d’arbrisseaux. Sur des mûriers agrestes, on trouve des vers à soie à l’état sauvage. Des ombellifères bordent le ruisseau, et voltigent des papillons qui n’ont pas été vus ailleurs. Les désagrémens ne peuvent jamais être entièrement évités : un soir, l’abbé David perd le guide conduisant le chameau, M. Chevrier se met à la recherche et perd l’un et l’autre ; heureusement on se retrouve après avoir subi toutes les angoisses de l’inquiétude. Nos voyageurs se fatiguent par des courses incessantes, mais la grande souffrance provient du manque d’eau. Un soir ils se résignaient à se passer de boire et de manger quand on fit la découverte d’un petit trou rempli d’eau.

L’Ourato occidental est vraiment un beau pays, formant contraste avec les autres régions de la Mongolie. Ce sont des taillis frais au milieu de grands saules délabrés par l’âge, des montagnes boisées et parsemées d’anémones, de pivoines à fleurs blanches ou roses, de polémoines, de valérianes, de grands géraniums à fleurs violettes, de trolles à grosses fleurs d’or, de clématites du genre atragène (Atragena florida), de plusieurs sortes de potentilles ligneuses formant des buissons entre les roches granitiques qui couronnent les hauteurs. Puis ce sont de vertes prairies au milieu d’un système de collines arrondies. « C’est magnifique, s’écrie le père Armand David, on se croirait sur les fraîches montagnes sous-alpines de l’Europe. » Au-delà, c’est un plateau très élevé, mamelonné et herbu, d’où l’on découvre tout le pays, au sud la plaine avec une longue bande de sable jaune, à l’ouest la plaine avec des flaques d’eau, restes probables d’un ancien lac, et au loin les montagnes bleuâtres de l’Alachan. Ces hautes prairies sont émaillées de ravissantes fleurs : lis rouges, amaryllis jaunes, borraginées bleues et tant d’autres. Les bartavelles caquettent sur la cime des rochers, les faisans et les perdrix grises de Daourie cherchent la pâture dans les herbes.

La région des fleurs est contenue dans des limites assez étroites. En se dirigeant un peu au nord, on franchit une vallée ou se montrent le granit et ensuite les porphyres et les roches basaltiques ; on descend un chemin boisé très-rapide, et alors c’est la plaine sablonneuse n’ayant qu’une végétation pauvre où rares sont les insectes et les oiseaux. Le pays est à peine habité ; seuls, quelques troupeaux de bœufs et de moutons, sous la garde de bergères mongoles, troublent la solitude. Plus loin, c’est la grande plaine de Teleinoor, au milieu de laquelle le Fleuve-Jaune semble avoir plusieurs fois changé son lit. Presque partout les forêts sont détruites, les vieux pins n’existent plus que sur les sommets élevés et les vallons inaccessibles. La prohibition de toucher aux bois de l’Ou-