Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les antilopes jaunes descendent par centaines dans la plaine pour être moins exposées ; bientôt le tonnerre gronde, la pluie tombe, l’ouragan est épouvantable ; la tente est difficilement maintenue dans une gorge, la provision de millet est inondée de sable, et durant tout le reste du voyage il faudra croquer les petits grains de silex. Le lendemain au point du jour, des lamas mongols qui étaient campés dans le voisinage viennent féliciter l’Européen de n’avoir pas été emporté par l’ouragan. — Où allez-vous ? demandent-ils. — À l’Ourato occidental. — Combien d’hommes êtes-vous ? — Comme vous voyez, deux et notre âne. — Vous ne craignez donc pas les brigands ? Ils ont dévalisé avant-hier et criblé de coups de sabre de pauvres lamas qui passaient sur leurs chameaux devant la gorge de Hatamel. — Pauvres gens ! c’est là précisément que nous allons. — Et Vous n’avez pas peur, vous deux hommes seuls et à pied ? — Nous ne connaissons pas ce sentiment-là, et nous irons partout. Malgré ce langage, les Mongols ne paraissaient pas le moins du monde rassurés sur le sort des voyageurs ; mais le père Armand David, qui a bravement jeté la parole au vent du désert, estime toujours qu’un peu de sang-froid, une barbe européenne et des armes peuvent défier des centaines de malfaiteurs chinois ou mongols.

On se remet en marche en passant devant la lamaserie, qui est très belle et composée d’une centaine de petites maisons blanches bâties sur une colline côtoyée par un torrent. Au bout de la plaine, couverte en plusieurs endroits d’innombrables liserons, s’ouvre une jolie vallée que traverse un clair ruisseau : c’est la fameuse gorge de Hatamel. Nos voyageurs cheminaient silencieusement au milieu d’épaisses et hautes broussailles, lorsque soudain un homme d’aspect rébarbatif, bien vêtu et armé d’un fusil, interpelle Sambat-chiemda ; l’accueil qu’il reçoit l’intimide, et comme au détour on remarque cinq beaux chevaux, il répond en s’éloignant : « nous sommes en effet cinq cavaliers. « Bien certainement l’abbé David venait de passer à côté d’une troupe de brigands qui ne tardèrent pas à disparaître, n’osant attaquer deux hommes résolus. Un endroit sauvage entouré de montagnes, très propice pour un campement, permet encore au naturaliste de faire une ample moisson de plantes, d’insectes et d’oiseaux. La provision de millet et de farine est épurée et le retour à Sartchi, devenu pour quelques mois une patrie adoptive, est indispensable. De nouveaux incidens se produisent : l’orage dans la montagne, l’absence d’eau, — sur une étendue de vingt lieues, il n’existe pas plus de trois ou quatre ruisseaux et quelques mares, — et enfin les rencontres désagréables. En approchant de la ville de Pao-thon, centre commercial de la région, l’abbé David tombe au milieu d’un groupe de soldats tartanes qui tiennent garnison pour protéger le pays contre les musulmans