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la délivrance, le conducteur se reconnaît, et avant la nuit on atteint un petit groupe d’habitations. Les voyageurs commencent à respirer ; le temps est mauvais, le vent soulève la poussière, et il faut toujours s’inquiéter des rencontres fâcheuses, car la contrée est infestée de voleurs courant la campagne à cheval. Au village, une maisonnette est offerte par un aimable propriétaire qui a visité Pékin, qui parle chinois, et qui estime les Européens.

Continuant à marcher vers le couchant, on rencontre une auberge qui n’offre aux passans qu’un abri et de l’eau ; néanmoins le maître consent à vendre du millet et un peu d’eau-de-vie à la petite caravane, dont les provisions s’épuisaient. Le pays s’élève toujours, les habitations deviennent plus rares, on sent que les ressources fournies par le sol diminuent ; partout ce ne sont que des collines volcaniques arrondies. Dans les gorges, on entend gazouiller les petits oiseaux ; à la vue des hommes disparaissent un aigle et un renard qui se guettaient mutuellement dans les intentions les plus hostiles. Au sommet d’une montée rapide, un grand cône formé de pierres entassées et couvert de broussailles attire le regard : c’est un autel bouddhique, bâti sans doute comme à l’ordinaire, sur le point le plus élevé de la route. La nuit surprend les voyageurs exténués de fatigue et presque glacés dans les gorges désertes et silencieuses ; ils marchent dans les ténèbres, déjà renonçant à l’espoir de trouver un abri. Le guide s’écarte, essayant encore d’apercevoir un être humain. Un rugissement, peut-être celui d’une panthère, fait craindre un instant pour la vie du malheureux. On finit par découvrir quelques habitations ; mais tout le monde dort, et les gens troublés dans leur repos reçoivent mal les visiteurs, ils ne consentent à céder à prix d’argent donné d’avance qu’une affreuse cabane.

Le 21 avril, la neige couvre tout le pays, marquée de nombreuses traces de loups, de renards et de lièvres. Après deux heures de chemin, on entre dans une vallée tansversale qui partage les collines côtoyées par un ruisseau venant du nord. À l’heure du déjeuner, la petite caravane a la bonne fortune de rencontrer un hameau. Un air d’aisance règne en cet endroit ; les tentes sont propres, plusieurs sont ornées à l’intérieur de dessins à l’aiguille. Quelques maisonnettes ont bonne apparence. La terre est un peu cultivée aux environs ; des poules et des porcs se promènent dans le voisinage des habitations. Les enfans et les jeunes filles ont la mine fraîche et paraissent pleins de santé ; ils viennent sans la moindre timidité demander une bagatelle européenne ou chinoise.

En montant encore vers l’ouest, la nature des collines change ; les basaltes sont remplacés par des roches granitiques : des gneiss, des pegmatites blanches, des micaschistes. Le grenat est associé à diverses roches et mêlé au sable d’un torrent, il donne à l’eau une