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tures croissent épars et comme plantés au hasard, de vieux thuias, des pins, de grands genévriers et des chênes aux larges feuilles.

La caravane s’est mise en retard, et la nuit est venue avant que l’on ait atteint la petite ville où il faudra coucher. On marche dans l’obscurité, sur de gros cailloux, au milieu d’un torrent desséché ; mais le père Armand David ne s’inquiète pas : en d’autres temps, il a traversé cette gorge où il existe surtout des pierres calcaires bleuâtres, du granit et des fragmens de porphyre. Au lendemain, le départ a lieu dès le point du jour ; une tasse de thé sans sucre est tout ce qu’on peut se procurer. En Chine, l’usage est de ne pas déjeuner quand on voyage. La journée sera pénible ; un épouvantable vent de nord-ouest souffle sans relâche, jetant au visage de la poussière et du sable. Cependant la campagne offre un charme qu’on n’a pas encore rencontré. Au sortir de la petite ville de Nan-keou se montre, dans un coin abrité par des rochers, un abricotier tout épanoui. Entre les cailloux s’étalent des touffes d’un daphné à fleurs jaunes (Wilstrœmia chamœdaphne) ; mais ailleurs rien n’indique le réveil de la végétation : on n’a point ici les primevères et les jonquilles, qui promettent en Europe la fin de l’hiver. Sur les collines, on ne voit que des tiges flétries en partie cachées dans les fentes du terrain ; entre les fissures des pierres où s’est conservé un peu d’humidité, les frondes jaunies ou brisées de quelques fougères propres à la contrée. Aux flancs arides des montagnes, les graminées desséchées n’ont pas disparu, et languissent encore des sarmens de la clématite de Mongolie. L’ormeau de la Chine et le frêne commun sont répandus en assez grande abondance et partout disséminés, tandis que le charme (Carpinus Turczaninowii) est confiné dans les vallons.

Il faut quatre ou cinq ’heures pour franchir la vallée qu’on nomme la passe de Nan-keou, Les joutes sont toujours mauvaises, mais celle-ci est affreuse. Par bonheur, les mulets connaissent si bien le chemin qu’ils demeurent fermes sur leurs jambes. Du reste notre missionnaire s’en embarrasse peu ; voulant tout observer, il voyage à pied. Néanmoins l’ennui est grand parfois, les caravanes de chameaux sont nombreuses et le chemin est étroit ; il n’y a pas de place suffisante pour se croiser sans de graves difficultés : toute rencontre de ce genre devient une calamité. Les chameaux qui descendent sont chargés la plupart de grands prismes de natron (carbonate de soude) provenant des lacs de la Mongolie ; ceux qui remontent, se dirigeant sur Kiatcha, portent d’immenses quantités de thé pour la Russie, le fameux thé de caravanes. Autrefois le trafic se faisait directement par Koui-hoa-tcheng et la Mongolie ; maintenant il s’effectue avec plus de facilité par Tien-tsing, Pékin et Kalgan. La nature des roches varie dans le trajet de l’étroite gorge ; près de