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cantonnier n’a pas encore été inventé. Quand une ornière est devenue trop profonde, charrettes et bêtes de somme se détournent, et bien ou mal on se tire du mauvais pas, surtout au printemps et en été. Après les pluies, la situation devient plus grave : la voie n’est qu’un immense bourbier rempli de fondrières ; les voitures se brisent, les mulets et les chameaux s’embourbent jusqu’au ventre, se cassent les jambes et parfois périssent. Améliorer l’état de la route ne vient à l’idée de personne ; du reste les Chinois se montrent pleins d’adresse dans la conduite des véhicules et des convois d’animaux.

Au bout de deux ou trois heures de marche dans la plaine, on aperçoit du côté de l’ouest de petites collines et les féeriques constructions du Palais d’Été. Plus au nord, la vue s’arrête sur une chaîne plus haute et particulièrement sur le flanc nu et blanchâtre d’une montagne d’où l’on extrait un beau granit, dont on porte quelquefois des blocs à Pékin. Tout près de la montagne se voit le village de Cha-ho (fleuve de sable), que l’on atteindra en traversant une rivière sur un pont jadis magnifique et construit dans des proportions grandioses. La saison n’est pas avancée, aucune feuille sur les arbres, aucune fleur dans les champs n’annonce encore le printemps ; mais le soleil est chaud dans la journée, et déjà commence le passage des oiseaux pressés de regagner les pays du nord. C’est plaisir de voir l’animation qui règne au milieu de la campagne triste et monotone : des troupes d’oies des moissons partent pour aller édifier leur nid dans les régions arctiques, et sillonnent l’air bruyamment ; des bandes de hérons cendrés se dirigent vers la Mongolie. Dans les endroits humides, passent d’un vol rapide des canards de plusieurs sortes. Les jolis choucas gris sont dans une extrême agitation, ils se réunissent en grand nombre, des choucas noirs se mettent de la compagnie, et des colonnes serrées se hâtent de remonter vers le nord. Après une heure de repos dans le village, nos voyageurs se remettent en route ; le terrain devient plus accidenté, de petites collines se détachent comme des îlots sur l’Océan. Dans la direction de l’est se dessine le chemin qui conduit aux sépultures impériales de la dynastie des Ming. Bien des fois, on a cité cette merveille de l’art des Chinois, aujourd’hui, paraît-il, fort délabrée. Une avenue bordée de statues gigantesques d’éléphans, de chameaux, de chevaux, mène à ces monumens adossés à des montagnes. Ce sont des enclos entourés de murs où s’élèvent des pagodes plus ou moins en ruines. La plus curieuse est soutenue par une colonnade faite d’énormes troncs de bois d’une seule pièce. Elle a des escaliers de marbre blanc parfois veiné de gris qu’on tire des montagnes voisines, et des ornemens en marbre saccharoïde d’une extrême blancheur, dont la carrière, au rapport des gens du pays, est épuisée. Sur les vastes terrains incultes où sont bâties les sépul-