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carlate d’une rare finesse et d’un éclat immaculé. La pourpre d’un cardinal n’a pas de plus purs reflets. Un pantalon gris bordé de rouge et les bandes grises du manteau complétaient le costume. Un bonnet rouge à large galon d’or, avec une courte aigrette, était posé élégamment sur les boucles de leurs cheveux noirs. À cet aspect, devant le groupe imprévu, les conversations cessèrent ; l’éclair d’une même pensée jaillit de tous les yeux : ce luxe italien se fourvoyait dans notre dénûment français. Je ne sais si les garibaldiens le comprirent ; mais à leur contenance pénible il était évident que leur succès les gênait. Heureusement les Prussiens leur fournirent une prompte occasion de rentrer en grâce auprès de l’armée française, et de se faire pardonner la richesse intempestive de leurs uniformes. Je veux parler de l’attaque tentée contre Dijon les 21, 22 et 23 janvier.

Voilà encore un de ces événemens militaires à double face où, selon le point de vue, les uns aperçoivent un succès et les autres découvrent un échec. C’est comme la bataille de Toulouse, que le maréchal Soult perdit et gagna pendant quarante ans dans les journaux. J’exprimerai, si l’on veut bien, mon avis, très incompétent, mais sincère. D’abord nous fûmes surpris ; c’est la règle. Les Prussiens, enlevant les postes de francs-tireurs disséminés dans les gorges boisées où coule le petit ruisseau du Suzon, débouchèrent tout à coup vers midi, à une portée de chassepot, des villages fortifiés de Fontaine et de Talant, qui dominent la ville. Ces hauteurs, garnies d’artillerie, les arrêtèrent. Pendant ce temps-là, les clairons sonnaient à tous les coins de rue, et la garnison, rassemblée à la hâte, accourait. L’action s’engagea vivement. Il y eut de part et d’autre beaucoup de morts et de blessés. Indécise le premier jour, la bataille recommença le lendemain, et l’on croyait l’ennemi en retraite lorsque, reparaissant pour la troisième fois et évoluant du nord à l’est, il vint tâter la position sur un point plus faible. C’est là qu’on lui prit un drapeau que j’ai vu porter triomphalement dans la ville. Dans toutes ces rencontres, les légions garibaldiennes se battirent avec intrépidité, et nos mobilisés les imitèrent. Garibaldi en personne dirigeait tout. Assis sur une chaise, — ses infirmités ne lui permettant pas de monter à cheval, — il gouvernait la bataille du haut du plateau de Talant, que balayait le canon ennemi. Un boulet faillit emporter sa voiture. Plusieurs fois il reforma ses troupes sous le feu et donna l’exemple de ce mépris des balles qui, dans un chef, électrise le soldat. Tel est l’aspect des choses et leur noble apparence ; mais ici se pose une question. L’attaque des Prussiens n’était-elle pas une feinte, une démonstration ayant pour but de masquer un mouvement plus important ? Dès le second jour, cette idée me traversa l’esprit. Dans la conduite de l’affaire, je ne recon-