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ces monades exercent leurs énergies, sous l’influence des monades supérieures, de même que par exemple les élémens nerveux agissent souvent sur les musculaires à notre insu et malgré nous.

Une autre question non moins importante se pose ici. L’âme pensante, selon Leibniz, est une monade dominante, une seule monade. La science ne paraît pas autoriser une telle affirmation. Pour elle, interprétée de haut, l’âme est une synergie de monades toutes sensibles et intelligentes, mais à des degrés divers, ce qui explique les degrés divers du sentiment et de la raison. Chez tel vivant, il n’existe pas de monade qui exprime le moi, chez tel autre le moi n’est senti que très confusément, chez tel autre enfin il est conçu dans sa plénitude. Chez le même vivant, cette âme est évidemment multiple, puisqu’elle se montre sous des aspects distincts, l’affection, le sentiment, l’intelligence, la volonté. Loin donc d’être simple et indivisible, elle consiste dans une association de monades qui ne sont pas toutes également parfaites, les unes se retrouvant dans les animaux les plus inférieurs, les autres caractérisant exclusivement l’homme. Système complexe de forces primordiales, concert harmonique d’énergies inétendues s’exprimant dans les élémens anatomiques de la substance grise du cerveau, et rayonnant de la par sa vertu propre dans l’infinité des choses, l’âme humaine est comme le lion de Milton qui, moitié lion, moitié fange et encore sous la main du divin sculpteur, aspire à sortir du chaos. Moitié esprit, moitié matière, notre âme aspire à la pureté absolue ; elle est retenue et gênée par les liens du corps. La grande inconnue est de savoir comment elle s’en débarrasse à l’entrée de l’éternité.

Leibniz ne distinguait pas seulement ces vertus qu’il appelait formes substantielles ou âmes, et qui sont les propriétés des corpuscules doués de vie telles que nous les connaissons aujourd’hui ; il distinguait encore dans ces corpuscules, et en général dans tous les corps, la masse et la matière. Or ce qu’il appelait masse, c’est l’ensemble de nos propriétés géométriques et mécaniques, et la matière est l’association de nos propriétés physico-chimiques. La masse et la matière appartiennent à tous les corps, l’âme n’appartient pas à tous. Peut-être est-il permis cependant de considérer comme quelque chose de quasi-vital cette tendance des molécules inorganiques à se grouper régulièrement dans les cristaux, et même la propriété plus générale qu’elles possèdent de se combiner toujours en proportions définies, en affectant des figures dont la chimie commence à entrevoir la loi génératrice. Quel que soit d’ailleurs le principe de ces mouvemens intestins, de ces conflits harmoniques dont le siège est au sein profond de la substance, la chimie contemporaine est leibnizienne dans toutes ses parties. Elle ramène en effet les phénomènes complexes qu’elle étudie à des éléments