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nimé dans les cendres, et que le feu peut transformer un animal, le réduire au lieu de le détruire. Ainsi la vie ne disparaît pas. L’ordre et le concert des monades sont seulement modifiés ; les essences qui les constituent demeurent avec leurs qualités premières et incorruptibles, prêtes à reparaître dans d’autres vivans. Ce qui ne commence point ne périt pas non plus. Ces considérations amènent Leibniz à envisager d’une manière bien profonde le phénomène de la mort. La vie n’étant pas un souffle qui vient tout d’une pièce animer le corps, la mort ne saurait être attribuée à la disparition subite d’un tel souffle. La génération n’étant que le développement d’un animal déjà formé, la corruption ou la mort n’est que l’enveloppement d’un animal qui ne laisse pas de demeurer vivant. La mort se fait par degrés, elle atteint d’abord des parties imperceptibles, et ne nous frappe que quand elle a saisi tout l’être. Aussi ne voit-on pas le détail de cette rétrogradation, comme on aperçoit celui de l’avancement qui constitue la naissance. Les faits de métamorphose et de reviviscence chez les insectes, de rappel à la vie chez les hommes morts de froid, noyés ou étranglés, sont pour Leibniz la preuve que la mort arrive ainsi graduellement, et il veut que la médecine cherche à opérer des résurrections. La science ultérieure a confirmé ces idées. La vie est dans l’infiniment petit ; elle circule sourde et latente sous ces déguisemens multiples dont parle Hamlet, se dissimulant quand elle fait encore tout palpiter et trouvant son aliment dans la mort.

Leibniz s’occupe aussi des espèces, qu’il définit par la génération, en sorte que ce semblable qui vient d’une même origine ou semence est aussi d’une même espèce. Les différentes classes des êtres ne sont pour lui que les ordonnées d’une même courbe, et ne forment qu’une seule chaîne dans laquelle ces classes, comme autant panneaux, tiennent si étroitement les unes aux autres qu’il est impossible de fixer le point où quelqu’une commence ou finit. Toutes les espèces, dit-il avec une singulière précision, qui bordent ou qui occupent les régions d’inflexion ou de rebroussement doivent être douées de caractères équivoques. Puis, considérant l’ensemble, qu’il soumet à la loi de continuité, il dispose les espèces et en général les êtres dans une immense série, depuis l’homme jusqu’aux êtres les plus simples ; il y a, selon lui, une si grande proximité entre les animaux et les végétaux que, si l’on prend le plus imparfait des uns et le plus parfait des autres, c’est à peine s’ils peuvent être distingués. De plus il est conforme à la somptueuse harmonie de l’univers, au grand dessein aussi bien qu’à la bonté du souverain architecte, que les différentes espèces de créatures s’élèvent peu à peu vers son infinie perfection. Leibniz admet des créatures plus parfaites que nous, mais dont il confesse que nous ne pouvons