Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II.

Nous voici arrivés avec Leibniz aux sommets de la pensée, aux derniers confins de la spéculation. Redescendons maintenant avec lui aux problèmes particuliers qu’il a examinés, et qu’il a légués à la science moderne, encore impuissante à les résoudre tous. On verra combien ont été salutaires à celle-ci les principes généraux qu’il avait établis comme les grandes lois de l’ordre du monde. Leibniz a le plus lucide sentiment de la diffusibilité de la vie. Il en exprime avec justesse le caractère fondamental, qui est le renouvellement moléculaire continu de la matière dans la permanence des formes actives, c’est-à-dire des âmes. Il y a, d’après lui, un monde de créatures, de vivans, d’animaux, d’entéléchies, d’âmes, dans la moindre partie de la matière. Chaque portion de la matière doit être conçue comme un jardin plein de plantes, ou comme un étang plein de poissons ; mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin ou un tel étang plein de vivans de plus en plus petits, quoique d’espèce analogue. Tous ces corps, ajoute-t-il, sont dans un flux perpétuel comme des rivières. Des parties y entrent et en sortent constamment. De cette façon, l’âme ne change de corps que peu à peu, et n’est jamais dépouillée tout d’un coup de ses organes ; les propriétés vitales restent, tandis que la matière de la vie passe. Leibniz imagina là-dessus que certains animaux doivent pouvoir se multiplier comme les plantes, par scission. La découverte des polypes par Trembley, les faits de multiplication des vorticelles, des paramécies, des bursaires, des opalines, etc., observés depuis, ont donné raison aux conjectures du philosophe.

Descartes avait envisagé les bêtes comme des machines, comme des automates sans âme, composés d’atomes dont les mouvemens sont coordonnés à l’instar de ceux des plantes. Il leur refusait l’intelligence, et croyait pouvoir expliquer la sensibilité et l’instinct qu’on y remarque par des raisons purement mécaniques. Leibniz n’admet point de différences spécifiques entre l’homme et les animaux. Il accorde à ceux-ci une âme inférieure à la nôtre, moins raisonnable, mais raisonnable encore, une âme au fond de même essence, principe d’activité bien, distinct des énergies du monde inorganique. Il la considère de plus comme également indestructible et immortelle. Ceux qui conçoivent, dit Leibniz, qu’il y a une infinité de petits animaux dans la moindre goutte d’eau, comme les expériences de Leuwenhœck l’ont montré, et, qui ne trouvent pas étrange que la matière soit remplie partout de substances animées, ne trouveront pas étrange non plus qu’il y ait quelque chose d’a-