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tion en réaction, impuissante à garder la juste mesure et à rester dans le droit chemin, subissant avec une mobilité excessive toutes les impressions du moment.

Quelles conclusions tirer de cette pénible étude ? Cinq mois d’arbitraire et de désordre démagogique avaient succédé aux vingt années énervantes de l’empire. La dictature avait changé de mains en s’aggravant. Il semble qu’il soit dans la destinée des pouvoirs despotiques de s’abandonner tôt ou tard à cet esprit de vertige qui précipite les nations dans la ruine. Que les intentions de M. Gambetta fussent louables, nous le voulons croire : il n’en est pas moins vrai que sa gestion fut à la fois désastreuse et démoralisatrice. Les préfets de la république dépassèrent, au-delà de toute comparaison, en arbitraire les préfets de l’empire ; leurs arrêtés n’ont de précédens historiques dans aucun temps et sous aucun régime. Le commentaire du Bulletin de la république, ordonne aux instituteurs dans toutes les communes de France, laisse de beaucoup derrière lui le cours d’histoire contemporaine des lycées impériaux. Tous les abus, tous les excès, si justement critiqués sous le, régime déchu, se reproduisirent au grand jour. Il ne pouvait en être autrement. Toute dictature est malsaine par essence, et fausse l’esprit comme le cœur de celui qui en est investi. La funeste journée de Sedan eût dû guérir la France du besoin de se jeter dans les bras d’un homme. Cette dernière épreuve, la plus accablante de toutes, la désabusera-t-elle enfin ? Il est permis de l’espérer, car il est temps que la France reprenne avec calme possession de ses destinées, et ne confie plus à d’autres qu’elle-même le soin de ses affaires, de son salut. Une autre conclusion ressort aussi de cette étude. Nous avons vu que c’est folie et présomption de vouloir improviser une armée. Ajoutons que c’est présomption et folie de vouloir improviser une administration de toutes pièces. La nature sociale se refuse à ces expériences hasardeuses. Il faut plus de sérieux, plus d’esprit de suite, plus de patience, moins de parti-pris ; pour reconstituer un peuple. Quelle qu’ait pu être autrefois l’influence magique de certains mots : république, révolution, levée en masse, la civilisation contemporaine est insensible à l’action de pareils leviers. Ce ne sont plus des formules, ce sont des faits d’une réalisation difficile, mais désirable : la concorde, la sincérité, le sentiment du devoir, la réflexion et la persévérance, qui peuvent seuls sauver et rétablir la France.

Paul Leroy-Beaulieu.