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les tribunaux, les frappa d’amendes. L’un fut taxé à 1.000 francs par jour de retard, un autre à 3,000 francs pour le même délai. Aux termes de l’arrêté de M. Gent, cette amende, en elle-même aussi exorbitante qu’illégale, était déclarée rétroactive, et s’appliquait aux jours de retard déjà écoulés. Faute par les délinquans de payer dans les dix jours « le montant des indemnités totalisées, » ils devaient y être contraints par la force. Ces mesures étaient prises « sous réserve de toutes décisions et exécutions ultérieures, et sans préjudice des poursuites qui pourraient être dirigées en exécution des lois militaires. » Ce curieux document porte la date du 16 décembre, et vise un arrêté analogue du 1er décembre. C’est ainsi que les radicaux traitent les lois, la justice et les intérêts particuliers. Est-il un proconsul romain qui se soit arrogé le droit de mettre sur les citoyens des amendes de 1,000 et de 3,000 francs par jour ? Vers le même temps, le conseil municipal de Marseille prit une détermination que nous voulons croire inoffensive, mais qui n’en est pas moins remarquable, et aurait pu conduire à bien des abus. La ville avait fait un emprunt de 10 millions de francs ; il n’était, parait-il, couvert qu’aux trois quarts. Le conseil décida qu’une commission de douze membres se rendrait au domicile des citoyens opulens et aisés, afin de les presser de souscrire.

Après la défaite de l’armée de la Loire et l’évacuation d’Orléans, le gouvernement avait transporté son siège de Tours à Bordeaux. Il est incontestable que le séjour de cette dernière ville et l’attitude d’une partie de la population eurent sur ses déterminations postérieures une influence funeste et décisive, MM. Gambetta et Crémieux sont des natures trop impressionnables pour résister aux entraînemens de leur entourage. Bordeaux était un mauvais milieu pour des dictateurs nerveux et aussi prompts à subir l’action du dehors. Depuis longtemps, il y avait dans cette ville une très grande agitation, dont les réunions publiques et les clubs étaient surtout le théâtre. On connaît ces assemblées populaires : elles sont dans les grandes villes de France partout les mêmes, la couleur locale n’y entre pour rien. On commettait à Bordeaux les mêmes excentricités qu’à Paris et à Lyon. Nombre d’orateurs allaient jusqu’à réclamer la guillotine. Les membres de la délégation furent invités à se rendre dans ces conciliabules populaires ; ils eurent le tort d’y consentir. M. Glais-Bizoin, paraît-il, aurait été vu dans une tribune à diverses de ces réunions. Ce n’était là qu’un manque de tact et de dignité ; mais voici un fait plus grave. Le conseil municipal de Bordeaux, composé de notables, parmi lesquels trois ou quatre magistrats, n’était guère moins exalté que le peuple de cette ville. L’on en peut juger par une curieuse et importante pièce dont nous allons donner la substance. Sous la présidence de M. Émile