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péril ; que les autorités civiles, militaires et administratives aient le patriotisme d’abdiquer toutes leurs prérogatives, causes de conflits regrettables ; qu’elles sachent bien que nous ne voulons pas nous soustraire à l’action du pouvoir central, mais au contraire l’aider par nos libres efforts, l’alléger par notre initiative. Les autres régions imiteront l’exemple que donne le midi. Il y va du salut de la France et de la république. » C’est ainsi que M. Esquiros employait ses loisirs, c’est ainsi qu’il organisait la défense de la France, et qu’il préparait des forces disciplinées pour lutter contre les vétérans et la stratégie de M. de Moltke !

Pendant ce temps, M. Duportal, préfet de Toulouse, M. César Bertholon, préfet de Saint-Étienne, marchaient à pas accélérés dans la voie d’arbitraire et de désorganisation que le préfet de Marseille avait frayée. M. Duportal fermait aussi les établissemens religieux d’instruction, expropriait de sa seule autorité les communautés ecclésiastiques, mettait la main sur les juges de l’empire et les frappait de déchéance ; il parvenait même à lasser la patience de son conseil municipal. Une variante parmi ces dictateurs, une figure plus originale, c’est le préfet de Nice, M. Pierre Baragnon. Celui-là est un économiste, ou du moins il croit l’être. Il lui prend fantaisie de régler le paiement des loyers, qui jusque-là se faisait six mois à l’avance. Désormais les loyers au-dessus de 1,000 francs ne se paieront que trois mois à l’avance, et ceux au-dessous un mois seulement ; mais M. Pierre Baragnon est un esprit précis, qui ne s’arrête pas aux généralités dans ses arrêtés préfectoraux. Il détermine les époques de paiement : fin septembre, fin décembre, fin mars et fin juin pour les loyers au-dessus de 1,000 francs, et chaque fin de mois pour les loyers inférieurs. On ne saurait être plus consciencieux. L’on a de la peine à comprendre qu’une fois entré dans cette voie de réglementation arbitraire, le préfet de Nice n’ait pas tarifé toutes les marchandises et rétabli le maximum, cette panacée révolutionnaire. Ceux des fonctionnaires qui, au milieu de cette universelle anarchie, restaient calmes et corrects étaient destitués « comme indignes. » Ainsi fut fait de M. Béhaguel, préfet de la Haute-Loire, coupable d’avoir rendu visite à l’évêque, d’avoir rassuré les corporations religieuses, de s’être refusé à dissoudre le conseil municipal de la ville du Puy le lendemain de son élection, et de n’avoir pas obtempéré aux ordres de la commune de Lyon. Une pareille brebis galeuse ne pouvait rester dans le bercail ; on l’en chassa pour mettre à sa place un rédacteur du Rappel. Quant aux menus délits, comme l’emploi illégal des fonds départementaux, cela était si fréquent que l’attention publique ne s’y arrêtait point. Tous ces préfets, journalistes ou avocats, maniaient les millions avec une facilité merveilleuse, comme s’ils en étaient légitimes propriétaires.