Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chant accord. Cette communauté d’idées et de sentimens ne se démentit pas un seul jour. Il serait superflu d’entrer ici dans les détails de la gestion du dictateur marseillais. M. de La Guéronnière débarque à Marseille venant de Constantinople, où il était ambassadeur ; il est immédiatement saisi et incarcéré. Ce furent naturellement les prêtres et surtout les jésuites qui restèrent le plus exposés à l’arbitraire de la foule et des autorités ; les journaux n’y échappèrent pas non plus. Une des plus singulières mesures prises par l’administrateur des Bouches-du-Rhône est la suivante : « par respect pour la dignité de la justice, comme par mesure d’ordre, les audiences du tribunal de première instance, tenues et présidées par d’anciens magistrats de l’empire, sont suspendues ; l’instruction criminelle seule est maintenue et continuera de fonctionner. » Ainsi de sa propre autorité M. Esquiros arrêtait le cours de la justice. On avait organisé une garde civique qui devait suppléer les anciens sergens de ville. Ces agens de police républicains devinrent bientôt la terreur de Marseille, n’ayant de rigueur que pour les honnêtes gens et les personnes d’ordre, arrêtant qui bon leur semblait, conduisant les manifestations des rues, excitant tous les tumultes populaires. M. Esquiros avait des vues qui s’étendaient bien au-delà des limites de son département. Il s’agissait de réaliser, sous une forme un peu adoucie, le projet de la convention des communes fédérées, émanée du club de la Rotonde de Lyon. Une réunion fut tenue à Marseille, sous la présidence de M. Esquiros, pour constituer la ligue du midi ; quarante-huit délégués des départemens voisins y assistaient. La création de cette ligue, dont on attendait le salut de la France et le triomphe de la démocratie, fut décidée à l’unanimité. On rédigea un manifeste où il était dit que « les autorités militaires ne pouvaient qu’entraver la défense, que l’armée n’existait plus, que les véritables forces militaires n’étaient plus que les forces populaires, qu’il fallait empêcher la hiérarchie militaire d’entraver l’action du peuple. » Sur le choix de la capitale provisoire, l’accord avait cessé : les uns demandaient Marseille, comme offrant plus de facilités pour l’organisation, les autres tenaient pour Lyon, comme ayant une population supérieure, et étant une position plus favorable pour la marche sur Paris. L’assemblée voulut concilier ces prétentions rivales en choisissant Lyon pour centre d’action, Marseille pour centre d’organisation, et Toulon comme grand arsenal. On s’occupa ensuite de constituer fortement la ligue, d’en faire un pouvoir supérieur à tout autre. Un appel fut fait à tous les citoyens de la France. « Que dans les réunions publiques les plus dévoués et les plus courageux préparent le peuple à appuyer les efforts de la ligue du midi ; que de ces réunions partent des délégués pour stimuler le patriotisme des populations et leur faire comprendre le