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descendaient de leur préfecture et y remontaient avec une merveilleuse facilité, comme si leur personne eût été l’intérêt suprême. Dans les circonstances les plus graves pour la France, un tiers au moins, la moitié peut-être des sièges préfectoraux se trouva souvent en vacance par suite de la candidature des patriotes qui les occupaient.

Mais aucune de ces prescriptions n’atteignit le but proposé. Tous ces procédés chers au parti avancé, le scrutin de liste, le vote cantonal, les candidatures des préfets, devaient aboutir, en fin de compte, à la chambre la plus conservatrice qu’ait vue la France depuis bien des années. Les élections furent indéfiniment ajournées ; le pays traversa la plus grande crise sans avoir été admis à émettre un vote. Cependant jamais on ne sentit plus le besoin d’une autorité régulière et incontestée ; jamais on ne vit plus de symptômes de dissolution politique et sociale. Le gouvernement avait deux grands défauts : il était le résultat d’un coup de main, il était en outre exclusivement parisien d’origine. Aussi n’avait-il aucun prestige. Toutes les grandes villes refusaient de lui obéir et prétendaient se gouverner elles-mêmes ; Lyon avait donné l’exemple dès les premiers jours.

En proclamant la république le 3 septembre, Lyon avait devancé Paris. Une commune, composée d’une poignée d’exaltés, s’était installée à l’hôtel de ville, où flotta dès lors et pendant cinq mois le drapeau rouge. La plupart des fonctionnaires impériaux, le préfet et le procureur-général en tête, avaient été incarcérés. Les propositions les plus étranges se convertissaient quotidiennement en arrêtés municipaux. Le gouvernement du 4 septembre envoya dans le département du Rhône un administrateur extraordinaire, M. Challemel-Lacour, écrivain de talent et de savoir dont le choix pouvait être accueilli comme un gage de modération ; mais le nouveau préfet ne sut point triompher des tendances anarchiques de ses administrés, et se laissa déborder. Peut-être jugea-t-il que son devoir, dans des circonstances si critiques, était d’éviter l’effusion du sang, même en faisant de regrettables concessions. Ses premières mesures furent heureuses : il fit mettre en liberté les fonctionnaires de l’empire, et convoqua les électeurs pour la nomination d’un conseil municipal régulier qui mît fin aux jours de la commune. La nouvelle municipalité élue ressembla beaucoup à la précédente, et continua son œuvre. Il paraît que le vote des ecclésiastiques avait été refusé par plusieurs bureaux. Le préfet du Rhône se sentit dès lors entraîné, et lui-même consentit à s’écarter des voies légales pour agir comme s’il n’y avait aucun pouvoir en dehors et au-dessus de lui. Un arrêté du 21-22 septembre destitua brusquement quinze juges de paix du département, sans même alléguer de motifs.