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table force. Aussi beaucoup d’esprits éclairés ont-ils pensé qu’il y avait un juste milieu à saisir, et qu’il conviendrait de multiplier le fractionnement cantonal en lui donnant la base fixe de la distance et de la population, La loi de 1849 n’avait pas été aussi sage, mais elle avait-encore laissé assez de marge pour rester libérale, si elle était impartialement appliquée. D’après cette loi, le scrutin devait s’ouvrir sous la présidence du maire au chef-lieu de canton. Cependant, en raison des circonstances locales, le canton pouvait être divisé en sections, dont le nombre était laissé à la sagesse du préfet ; ces sections devaient être présidées par le maire de la commune où le vote avait lieu. Ces dispositions prêtaient sans doute à l’arbitraire préfectoral ; elles n’étaient pas néanmoins oppressives. M. Crémieux les modifia d’une manière qui échappa aux esprits superficiels, mais qui avait une grande portée. Il limita le nombre des sections cantonales à deux ou trois circonscriptions fixées par le préfet, et il prescrivit que « le préfet pourrait désigner pour chaque section où l’élection aurait lieu le président du bureau électoral. » Cette innovation avait de grands inconvéniens : elle interdisait le fractionnement efficace, elle maintenait les distances beaucoup trop grandes ; des électeurs devaient avoir souvent 3 ou 4 lieues à faire pour se rendre aux lieux du vote et autant pour en revenir, soit 6 ou 8 lieues. C’était exiger des habitans des campagnes beaucoup de fatigues, de perte de temps et même d’argent ; c’était mettre à un haut prix l’accomplissement de leurs devoirs civiques, ou plutôt, disons le mot, c’était vouloir les éloigner. La disposition qui permettait aux préfets de désigner les présidens des bureaux électoraux était encore plus abusive ; mais voici la mesure qui couronnait cet échafaudage d’arbitraire. D’après toutes les lois antérieures, les préfets, sous-préfets, secrétaires-généraux, n’étaient éligibles dans les circonscriptions qu’ils avaient administrées que six mois après être sortis de fonctions. M. Crémieux jugea bon de réduire ce délai de six mois à un délai illusoire de dix jours. Ainsi un préfet avait toutes facilités pour préparer sa candidature avec l’omnipotence qu’il devait à sa position. Il pouvait fixer les circonscriptions de scrutin, désigner le président des bureaux électoraux, puis sortir de charge quelques jours seulement avant le scrutin. C’était une étrange manière de respecter la liberté des votes et de conserver la dignité des fonctionnaires. Ces mesures donnèrent lieu à un lamentable spectacle. On vit un grand nombre de préfets, de sous-préfets, de secrétaires-généraux, donner leur démission, la retirer, la redonner de nouveau, la retirer encore, si bien que beaucoup de ces personnages se démirent trois fois de leurs fonctions et y rentrèrent trois fois en moins d’un mois ! Toute l’administration fut dans un perpétuel désarroi et dans un incessant renouvellement. Ces préfets candidats