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ques, aux paysans, et ces classes, qui avaient été fort batailleuses aux siècles précédens, commencèrent à laisser la guerre privée aux gentilshommes. La guerre perdit ainsi du terrain, et la justice en gagna. On s’attaqua ensuite à la classe noble, mais en commençant par une sorte de transaction ; on lui interdit la guerre pendant quelques jours de chaque semaine, en la lui permettant les autres jours. Ce fut la trêve de Dieu au lieu de la paix de Dieu. La trêve fut, paraît-il, beaucoup mieux observée que ne l’avait été la paix. La semaine se trouva dès lors divisée en deux parties, dont l’une fut sacrifiée à la guerre, et l’autre fut donnée à la justice. Les rois établirent plus tard la quarantaine, c’est-à-dire qu’ils obligèrent à mettre un intervalle de quarante jours entre la querelle et le commencement des hostilités ; obliger d’attendre quarante jours, c’était donner à la passion le temps de s’éteindre et à la justice le temps d’intervenir. Enfin les rois réussirent à faire admettre dans le droit commun que, si l’un des deux adversaires voulait recourir à la guerre et l’autre à la justice, ce serait la justice qui l’emporterait ; ils établirent alors la belle institution qui dans le langage de l’époque s’appelait l’assurément. Tous ces progrès furent opérés les uns après les autres, et non sans peine. Ils étaient à peu près achevés au milieu du xiiie siècle, à l’époque du règne de saint Louis. La guerre privée n’avait pas encore disparu tout à fait, et le roi lui-même était encore contraint de l’autoriser ; mais la justice insensiblement s’était constituée, s’était assise, avait pris des règles fixes, et avait étendu peu à peu son action bienfaisante. Il existait sur tout le territoire un ordre judiciaire qui fonctionnait avec régularité et avec vigueur. C’est cet ordre judiciaire du xiiie siècle qu’il nous faut observer maintenant.


VII. — le jugement par les pairs.

L’organisation judiciaire du xiiie siècle a découlé tout entière d’un principe unique, celui du jugement par les pairs[1]. Il faut nous rendre compte de ce que les hommes entendaient par là. Ce principe a si complètement disparu dans les siècles suivans, les idées et les institutions s’en sont tellement éloignées, qu’on a fini par ne plus comprendre le vrai sens et la grande énergie de cette maxime du moyen âge : « chacun doit être jugé par ses pairs. »

Le mot pairs, dans la langue du temps, signifiait égaux. Deux

  1. Il y a une réserve à faire pour la juridiction ecclésiastique, dont nous parlerons plus tard.