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temporains, et qu’aucun d’eux ne démentirait : « La paix n’a pas été établie par une loi générale et supérieure, mais par la délibération et le pacte des hommes de chaque province ; les décrets et les règlemens en ont été arrêtés dans chaque diocèse par le consentement des paroissiens. » L’autorité royale étant impuissante, l’autorité seigneuriale étant désordonnée, et aucun pouvoir ne pouvant se charger d’établir la justice, c’était la population elle-même, sans distinction de classes, qui essayait de l’organiser. Elle procéda le plus souvent par des associations qui ressemblaient un peu à des assurances mutuelles. Nul n’était contraint d’entrer dans ces sociétés de paix, car la justice ne s’imposait encore à personne ; seulement dès qu’on était entré librement dans une association, dès qu’on avait prêté le serment exigé de chaque nouveau membre et qu’on était ainsi devenu juré de la paix, on renonçait au droit de guerre, et l’on était soumis à la justice. Chaque association avait ses administrateurs, ses juges et son trésor commun.

Les hommes du xie siècle appelaient volontiers cette institution la paix de Dieu, il était naturel et conforme aux idées du temps que l’amour de la justice s’alliât au sentiment religieux et se confondît avec lui. Souvent aussi, dans le langage ordinaire, on disait simplement la paix du pays, la paix de la ville, la paix de l’évêque, pour désigner l’association de justice mutuelle qui embrassait un pays, une ville, un diocèse. Peut-être n’est-il pas inutile de faire remarquer que le mot commune était fréquemment employé dans le même sens. Cela tient à ce que les communes, du moins la plupart, ne furent pas autre chose que des associations qui se formaient en vue d’établir une justice régulière entre leurs membres. On s’est mépris quand on a envisagé le mouvement communal comme une révolution de l’ordre politique, et l’on a attribué aux hommes de ce temps-là des idées qu’ils n’avaient ni ne pouvaient avoir. Le mouvement communal ne sortit presque pas de la sphère des intérêts individuels et de l’ordre civil ; les chartes furent avant tout les codes de procédure de ces hommes qui s’unissaient pour être jugés suivant des règles fixes, et les magistrats municipaux furent surtout des juges. Pour tout dire en un mot, la grande révolution du xie et du xiie siècle eut pour principal objet de mettre la justice à la place de la guerre.

Ne pensons pas que cette révolution se soit accomplie sans peine. Les difficultés furent au contraire immenses. Aucune autorité n’était assez forte ou n’avait une volonté assez ferme pour se charger de réaliser le vœu général. Les populations eurent donc tout à faire par elles-mêmes ; mais elles n’étaient pas d’accord entre elles, les intérêts, comme les idées, étaient différens ; on s’entendait sur la