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que l’égalité s’est faite, et que lui seul, l’ignorant, est resté en dehors du mouvement social. Louis Blanc avait eu une véritable révélation de l’avenir, lorsqu’en 1848 il opinait pour que le suffrage universel ne fût proclamé qu’avec cette restriction : l’instruction gratuite obligatoire est entendue ainsi, que tout homme ne sachant pas lire et écrire dans trois où cinq ans à partir de ce jour perdra son droit d’électeur. — Je ne me rappelle pas les termes de la formule, mais je ne crois pas me tromper sur le fond. Cette sage mesure nous eût sauvés des fautes et des égaremens de l’empire, si elle eût été adoptée. Tout homme qui se fût refusé au bienfait de l’éducation se fût déclaré inhabile à prendre part au gouvernement, et on eût pu espérer que la vérité se ferait jour dans les esprits.

27 au soir.

Nous avons été voir un vieil ami à Chambon. Cette petite ville, qui m’avait laissé de bons souvenirs, est toujours charmante par sa situation ; mais le progrès lui a ôté beaucoup de sa physionomie : on a exhaussé ou nivelé, suivant des besoins sanitaires bien entendus, le rivage de la Vouèze, ce torrent de montagne qui se répandait au hasard dans la ville. De là, beaucoup d’arbres abattus, beaucoup de lignes capricieuses brisées et rectifiées. On n’est plus à même la nature comme autrefois. Le torrent est emprisonné, et comme il n’est pas méchant en ce moment-ci, il paraît d’autant plus triste et humilié. Mon Aurore s’y promène à pied sec là où jadis il passait en grondant et se pressait en flots rapides et clairs. Aujourd’hui des flaques mornes irisées par le savon sont envahies par les laveuses ; mais la gorge qui côtoie la ville est toujours fraîche, et les flancs en sont toujours bien boisés. Nous avions envie de passer là quelques jours, c’était même mon projet quand j’ai quitté Nohant. Je m’assure d’une petite auberge adorablement située où en été l’on serait fort bien ; mais nos amis ne veulent pas que nous les quittions : le temps se refroidit sensiblement, et ce lieu-ci est particulièrement froid. Je crains pour nos enfans, qui ont été élevées en plaine, la vivacité de cet air piquant. J’ajourne mon projet. Je fais quelques emplettes, et suis étonnée de trouver tant de petites ressources dans une si petite ville. Ces Marchois ont plus d’ingéniosité dans leur commerce, par conséquent dans leurs habitudes, que nos Berrichons.

Notre bien cher ami le docteur Paul Darchy est installé là depuis quelques années. Son travail y est plus pénible que chez nous ; mais il est plus fructueux pour lui, plus utile pour les autres. Le paysan marchois semble revenu des sorciers et des remegeux. Il appelle le