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29 décembre.

Il paraît, on assure, on nous annonce sous toutes réserves, — c’est toujours la même chose. Les journaux en disent trop ou pas assez. Ils ne nous rassurent pas, et ce qu’ils donnent à entendre suffit pour mettre l’ennemi au courant de tous nos mouvemens. Le combat de Nuits a été sérieux, sans résultats importans, — comme tous les autres !

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Les dépêches sont plus affirmatives que jamais. L’ennemi parait reculer ; je crois qu’il se concentre sur Paris. Il est évident que, sur plusieurs points, malgré nos atroces souffrances, nous nous battons bien. Là où le courage peut quelque chose, nous pouvons beaucoup ; mais en dehors des nouvelles officielles il y a l’histoire intime qui se communique de bouche en bouche, et qui nous révèle des dilapidations épouvantables au préjudice de nos troupes. Il est impossible que nous triomphions, impossible !

Savoir cela, le sentir jusqu’à l’évidence, et apprendre que les Prussiens vont peut-être bombarder Paris ! Ils ont, dit-on, démasqué des batteries sur l’enceinte — avec pertes considérables, dit succinctement la dépêche. Pertes pour qui ?

31 décembre 1870.

Toujours froid glacial. Nous sommes surpris par la visite de notre ami Sigismond avec son fils. Ils n’ont pas plus d’illusions que nous, et nous nous quittons en disant : Tout est perdu !

À minuit, j’embrasse mes enfans. Nous sommes encore vivans, encore ensemble. L’exécrable année est finie ; mais, selon toute apparence, nous entrons dans une pire.

Il est pourtant impossible que tant de malheur ne nous laisse pas quelque profit moral. Pour mon compte, je sens que mon esprit a fait un immense voyage. J’ignore encore ce qu’il y aura gagné ; mais je ne crois pas qu’il y ait perdu absolument son temps. Il a été obligé de faire de grands efforts pour se déprendre de certaines ardeurs d’espérance ; il en a eu de plus grands encore à faire pour conserver des croyances dont l’application était un cruel démenti à la vérité. Il n’érigera point en système à son usage ce qu’il a senti se dégager de vrai au milieu de ses angoisses. Il voyagera au jour le jour, comme il a toujours fait. Il regardera toujours avidement, peut-être verra-t-il mieux.

Il m’en a coûté des larmes, je l’avoue, pour reconnaître que, dans cet élan républicain qui nous avait enivrés, il n’y avait pas assez d’élémens d’ordre et de force. Il eût fallu le savoir, consentir à se