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ce dilemme : « la république ne pouvant s’établir que par la dictature, tous les moyens sont bons pour s’emparer de la dictature quand on veut avec passion fonder ou sauver la république. »

« C’est une passion sainte, ajoutent-ils, c’est le feu sacré, c’est le patriotisme, c’est la volonté féconde sans laquelle l’humanité se traînera éternellement dans toutes les erreurs, dans toutes les iniquités, dans toutes les bassesses. Le salut est dans nos mains ; périsse la liberté du moment pour assurer l’égalité et la fraternité dans l’avenir ! Égorgeons notre mère pour lui infuser un nouveau sang ! »

Cela est très beau selon vous, gens de tête et de main, mais cela répugnera toujours aux gens de cœur ; en outre cela est impraticable. On ne fait pas revivre ce qu’on a tué, et le peuple d’aujourd’hui, fils de la liberté, n’est pas disposé à laisser consommer le parricide. D’ailleurs cette théorie n’est pas neuve ; elle a servi, elle peut toujours servir à tous les prétendans : il ne s’agit que de changer certains mots et d’invoquer comme but suprême le bonheur et la gloire des peuples ; mais, comme malgré tout le seul prétendant légitime, c’est la république, que n’eussions-nous pas donné pour qu’elle fût le sauveur ! Il y avait bien des chances pour qu’elle le fût en s’appuyant sur le vote de la France. La France dira un jour à ces hommes malheureux qu’ils ont eu tort de douter d’elle, et qu’il eût fallu saisir son heure. Ils l’ont condamnée sans l’entendre, ils l’ont blessée ; s’ils succombent, elle les abandonnera, peut-être avec un excès d’ingratitude : les revers ont toujours engendré l’injustice.

Mon appréciation n’est sans doute pas sans réplique. Quand l’histoire de ces jours confus se fera, peut-être verrons-nous que la république a subi une fatalité plutôt qu’obéi à une théorie. L’absence de communication matérielle entre Paris et la France nous a interdit aux uns et aux autres de nous mettre en communication d’idées ; probablement le gouvernement de Paris a été mal renseigné par celui de Tours, parce que celui de Tours a été mal éclairé par son entourage. En septembre, on était très patriote dans la région intermédiaire de l’opinion, et c’est toujours là qu’est le nombre. Malheureusement autour des pouvoirs nouveaux il y a toujours un attroupement d’ambitions personnelles et de prétendues capacités qui obstrue l’air et la lumière. Le parti républicain est spécialement exposé aux illusions d’un entourage qui dégénère vite en camaraderie bruyante, et tout d’un coup la bohème y pénètre et l’envahit. La bohème n’a pas d’intérêt à voir s’organiser la défense ; elle n’a pas d’avenir, elle n’est point pillarde par nature, elle profite du moment, ne met rien dans ses poches, mais gaspille le temps et trouble la lucidité des hommes d’action.

Que l’ajournement indéfini du vote soit une faute volontaire ou