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guerre est finie, s’il y a eu guerre, si nous ne rêvons pas depuis quatre mois. — Nous serons peut-être envahis demain.

Ce soir, une petite dépêche. Romorantin a été traversé et rançonné. Nos mobiles ont donné dans une escarmouche et tiré quelques coups de fusil.

17 décembre.

Un mot d’Alexandre Dumas pour m’apprendre la mort de son père. Il était le génie de la vie, il n’a pas senti la mort. Il n’a peut-être pas su que l’ennemi était à sa porte et assistait à sa dernière heure, car on dit que Dieppe est occupé. — Absence totale de nouvelles. À La Châtre, on est consterné, on croit avoir entendu le canon hier dans la soirée. Dans la campagne, on l’a entendu aussi. Je crois que ç’a dû être un tonnerre sourd, le ciel était noir comme de l’encre. Il a passé dans la nuit environ trois mille déserteurs de toutes armes. Ils ont couché emmi les champs, jetant leurs fusils, leurs bidons, et envoyant paître leurs officiers.

18.

Même absence de nouvelles officielles. Le gouvernement s’installe à Bordeaux. Chanzy tenait encore il y a trois jours autour de Vendôme, battant fort bien les Prussiens, à ce qu’on assure, et ceci paraît sérieux. Le sous-préfet d’Issoudun a fait savoir que Vierzon était occupé pour la troisième fois par l’ennemi. Bourbaki se serait replié sur Issoudun, renonçant à défendre le centre et se portant sur l’est. De toute façon, l’ennemi est fort près de nous. On s’y habitue, bien qu’on n’ait pas la consolation de pouvoir lui opposer la moindre résistance. Il passera ici comme un coup de vent sur un étang. Je regarde mon jardin en attendant qu’on mette les arbres la racine en l’air, je dîne en attendant que nous n’ayons plus de pain, je joue avec mes enfans en attendant que nous les emportions sur nos épaules, car on réquisitionne les chevaux, même les plus nécessaires, et je travaille en attendant que mes griffonnages allument les pipes de ces bons Prussiens.

19.

Le temps se remet au froid. Pas plus de nouvelles qu’auparavant. Un journal insinue qu’il se passe de grandes choses : c’est bien mauvais signe ! Toute la Normandie est envahie. Ils ont ravagé le plus beau pays de France. La Touraine est de plus en plus menacée. Il est difficile de se persuader que tout aille bien.

20.

Même silence. Nous sommes si inquiets que nous lirions de l’officiel avec plaisir. Sommes-nous perdus, qu’on ne trouve rien à dire ?