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lire, leurs convoitises, leur passion, sont dans un état d’ébullition qui les soutient sur le flot ; écumes en attendant qu’ils soient scories, ils flottent et croient qu’ils nagent !

Tout entier à l’horreur de la réflexion, celui qui aime l’humanité n’a plus le temps de s’aimer lui-même. Il n’a pas de but personnel, il n’a pas de part de butin à chercher dans les ruines, il souffre amèrement, et il s’attend à souffrir plus encore. Pauvre nature humaine, dans quel état d’épuisement ou d’exaspération vas-tu sortir, de cette torture ! Démence pour les uns, annihilement pour les autres… Quand nous aurons repoussé ou payé l’ennemi du dehors, que serons-nous ? où trouverons-nous l’équité calme, le pardon fraternel, le désir commun de reconstruire la société ? Et si nous sommes forcés de procéder à ce travail sous la menace du canon allemand ! Nous ne ferons certes rien de durable, et la république subira de si fortes dépressions qu’elle sera comme une terre ravagée de la veille par les éruptions volcaniques. Comme notre sol matériel, le sol politique et social sera souillé, stérilisé peut-être !

18 novembre.

M. de Girardin conseille d’élire en quatre jours un président par voie de plébiscite. Certes c’est une idée, — M. de Girardin n’en manque jamais, — mais, malgré mon très grand respect pour le suffrage universel, je crois qu’il ne devrait être appelé à résoudre les questions par oui ou par non que sur la proposition des assemblées élues par lui. Le travail de ces élections est chaque fois pour lui un moyen de connaître et de juger la situation. Ce sera son grand mode d’instruction et de progrès quand la classe éclairée sera vraiment en progrès elle-même ; mais questionner les masses à l’improviste, c’est souvent leur tendre un piège. Le dernier plébiscite l’a surabondamment prouvé. En ce moment de doute et de désespoir, nous aurions un vote de dépit contre la république, car elle porte tout le poids des malheurs de la France ; les votes de dépit ne peuvent être bons. Pourtant, s’il n’y avait pas d’autre moyen d’en finir avec une situation désespérée que l’on ne voudrait pas nous avouer, mieux vaudrait en venir là que de périr.

21 novembre.

Les journaux nous saturent de la question d’Orient. On y voit le point de départ d’une guerre européenne. Eh bien ! l’Europe, qui nous abandonne, sera punie en attendant qu’elle punisse à son tour. C’est dans l’ordre.

25 novembre.

Temps très doux et même chaud. Depuis quelques jours, les circulaires ministérielles nous entretiennent de petits combats où nous aurions constamment l’avantage. La rédaction est toujours la même.