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de son rôle ! Est-il organisateur, comme on le dit ? Qu’il agisse et qu’il se taise. Et si, pour mettre le comble à nos infortunes, il était incapable et de nous organiser et de nous éclairer ! Avec la reddition de Metz, nous voilà sans armée ; avec un dictateur sans génie, nous voilà sans gouvernement !

4 novembre.

Dans beaucoup de lettres que je reçois, de paroles que j’entends, de journaux que je lis, c’est l’exaltation qui domine : mauvais symptôme à mes yeux ; l’exaltation est un état exceptionnel qui doit subir la réaction d’un immense découragement. On invoque les souvenirs de 92 ; on les invoque trop, et c’est à tort et à travers qu’on s’y reporte. La situation est aujourd’hui l’opposé complet de ce qu’elle était alors. Le peuple voulait la guerre et la république ; aujourd’hui il ne veut ni l’une ni l’autre. Villes et campagnes marchaient ensemble ; aujourd’hui la campagne fait sa protestation à part, et le peuple plus ardent des villes ne l’influence dans aucun sens. Si nous sommes déjà loin, sous ce rapport, de 1848, combien plus nous le sommes de 92 !

Ceux qui croient que l’élan de cette grande époque peut se produire aujourd’hui par les mêmes moyens sont dans une erreur profonde. Les conditions sont trop dissemblables. On ne peut pas ne point tenir compte du fatal progrès matériel qui s’est accompli dans l’industrie du meurtre, des armes de destruction et de la science militaire qu’on nous oppose. En outre la discipline est une chose morte chez nous. L’obéissance passive semble incompatible avec le progrès que chacun a fait dans le sentiment de la possession de soi-même. Les soldats veulent être bien soignés et bien commandés ; ils ne veulent plus mourir sans but et sans utilité. Quelques-uns abusent de ce droit jusqu’à la révolte ou à la désertion ; le grand nombre fait bravement son devoir, mais il comprend les fautes des chefs, il s’indigne des souffrances gratuites que l’incurie, la scélératesse ou le désordre des intendances lui inflige. Il est aussi patient, aussi résigné que possible, et fournit à chaque page de cette lamentable histoire de nos revers des preuves de sa réelle vertu patriotique ; mais il ne fait pas les miracles du temps passé et il ne les fera plus. Il n’a plus la foi aveugle ; il est entré dans la phase du libre examen.

Voilà ce que les exaltés ne veulent pas comprendre. Ils ne tiennent compte d’aucune différence ; ils repoussent avec une colère maladive tout examen historique, toute déduction philosophique, si élémentaire qu’elle soit. On pourrait dire des républicains d’aujourd’hui qu’ils sont comme les royalistes de la restauration : ils n’ont rien oublié et rien appris. Quelques-uns s’en font gloire, ce