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est leur proie d’aujourd’hui, et il paraît que nous ne pouvons rien empêcher.

Mardi 25 octobre.

La pauvre Laure vient de s’éteindre sans souffrir, après une mort anticipée qui dure depuis deux mois. C’est une autre manière d’être victime de l’invasion. Gravement atteinte, elle a dû fuir avec sa famille, faire un voyage impossible avec une courte avance sur les Prussiens, arriver ici brisée, mourante, tomber sur un lit sans savoir qu’elle était de retour dans son pays, y languir plusieurs semaines sans se rendre compte des événemens qu’il n’était pas difficile de lui cacher, s’endormir enfin sans partager nos angoisses, qui dès le début l’avaient mortellement frappée au cœur. Elle avait le patriotisme ardent des âmes généreuses ; le rapide progrès de nos malheurs n’était pas nécessaire pour la tuer.

Nous recevons de bonnes lettres de Paris ; ils sont là-bas pleins d’espoir et de courage. Les plus paisibles sont belliqueux ; qu’on nous pousse donc en avant, vite à leurs secours ! Il semble aujourd’hui que la lutte s’engage, et on parle de quelques avantages remportés. On loue l’entrain (sic) de nos mobiles. Le gouvernement a l’air de compter sur la victoire. Il nous la promet…

Mercredi 26.

Très mauvaises nouvelles ! Ils brûlent, ils font le ravage, ils s’étendent ; nous sommes partout inférieurs en nombre devant eux, et nous sommes engorgés de troupes qui sont partout où l’on ne se bat pas ! L’artillerie nous foudroie ; nous faisons trois pas, nous reculons de douze. — Aujourd’hui nous avons conduit notre pauvre Laure au cimetière. Les nuages rampent sur la terre incolore et détrempée. Atroce journée, chagrin affreux ! je n’essaie même pas d’avoir du courage.

Jeudi 27.

Il pleut à verse, on fait des vœux pour que la Loire déborde, pour que l’ennemi souffre et que ses canons s’embourbent ; mais nos pauvres soldats en souffriront-ils moins, et nos canons en marcheront-ils mieux ? Que c’est stupide, la guerre !

28.

Propos sans utilité, discussions et commentaires sans issue, tour de Babel ! L’ennemi est à Gien ; il ne pense ni ne cause, lui : il avance…

29, 30, 31 octobre.

Rien qui ranime l’espoir ; trop de décrets, de circulaires, de phrases stimulantes, froides comme la mort.