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À qui la faute ? Cette déroute générale pourrait-elle être conjurée ? le sera-t-elle ? Ne faudrait-il, pour opérer ce miracle, que l’apparition d’un génie de premier ordre ? Ce génie présidera-t-il à notre salut ? va-t-il se manifester par des victoires ? Aurons-nous la joie d’avoir souffert pour la délivrance de la patrie ? Nos soldats d’hier seront-ils demain des régimens d’élite ? S’il en est ainsi, personne ne se plaindra ; mais si rien n’est utilisé, si l’état présent se prolonge, nous marchons à une catastrophe inévitable, et notre pauvre Paris sera forcé de se rendre.

Dimanche 23 octobre.

Il pleut à verse. Les nouvelles sont insignifiantes. Quand chaque jour n’apporte pas l’annonce d’un nouveau désastre, on essaie d’espérer. Les enfans qui partent volontairement sont gais. Les ouvriers chantent et font le dimanche au cabaret, comme si de rien n’était.

Je tousse affreusement la nuit ; c’est du luxe, je n’avais pas besoin de cette toux pour ne pas dormir. Toute la ville se couche à dix heures. Je prolonge la veillée avec mon vieux ami Charles ; nous causons jusqu’à minuit. Depuis plusieurs années qu’il est aveugle, il a beaucoup acquis ; il voit plus clair avec son cerveau qu’il n’a jamais vu avec ses yeux. Cette lumière intérieure tourne aisément à l’exaltation. Sur certains points, il est optimiste ; je le suis devenue aussi en vieillissant, mais autrement que lui. Je vois toujours plus radieux l’horizon au-delà de ma vie ; je ne crois pas, comme lui, que nous touchions à des événemens heureux ; je sens venir une crise effroyable que rien ne peut détourner, la crise sociale après la crise politique, et je rassemble toutes les forces de mon âme pour me rattacher aux principes, en dépit des faits qui vont les combattre et les obscurcir dans la plupart des appréciations. Nous nous querellons un peu, mon vieux ami et moi ; mais la discussion ne peut aller loin quand on désire les mêmes résultats. Nous réussissons à nous distraire en nous reportant aux souvenirs des choses passées. On ne peut toucher au présent sans se sentir relié par mille racines plus ou moins apparentes au temps que l’on a traversé ensemble. Nous nous connaissons, lui et moi, depuis la première enfance ; nous nous sommes toujours connus, nos familles, aujourd’hui disparues, étant étroitement liées. Nous avons apprécié différemment bien des personnes et des choses ; à présent ces différences sont très effacées, nous parlons de tout et de tous avec le désintéressement de l’expérience, qui est l’indulgence suprême.

Lundi 24.

Les Prussiens ne viennent pas de notre côté. Ils vont tuer et brûler ailleurs, on appelle cela de bonnes nouvelles ! Châteaudun