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montrer bien habiles pour leur parti, pour la république, dont ils se disent les représentans privilégiés, en déclinant d’avance toute participation à une paix qui deviendra probablement impopulaire quand nous aurons retrouvé quelques forces ; savent-ils ce qu’ils font avec cette habileté vulgaire ? Ils préparent tout simplement le thème que l’impérialisme exploitera d’ici à peu, qu’il exploite déjà peut-être. Vous verrez ces grands patriotes qui nous ont conduits à Sedan se glisser furtivement par l’issue qu’on leur aura ouverte, ils chercheront à faire oublier les premiers auteurs de nos désastres en ne parlant à la France que de l’humiliation qu’on lui a infligée ; ils accuseront de cette humiliation les anciens partis ; ils auront peut-être l’audace de dire que leur empereur a eu des malheurs, mais que l’empire n’eût jamais consenti à un démembrement de la patrie. Ils se serviront de tout ce qu’on va dire contre la paix que nous subissons ; ils réchaufferont toutes les déclamations de 1815, et recommenceront le travail interrompu de la légende napoléonienne. C’est là ce qu’on aura préparé sans le savoir, sans le vouloir, nous en sommes convaincus, en donnant des armes contre une paix qu’on croit soi-même inévitable, mais dont on aura cru habile de décliner la responsabilité.

Puisque rien ne peut détourner le malheur qui nous accable, puisque cette paix si cruelle est nécessaire aux yeux mêmes de ceux qui la combattent, il y aurait assurément plus de patriotisme à se mettre résolument, virilement en face de la situation douloureuse qui nous est faite, à ne point se diviser devant le malheur. L’essentiel aujourd’hui pour la France est de sortir de l’abîme où on l’a plongée, de se dégager de l’étreinte qui la meurtrit et l’épuise. La seconde nécessité pour elle, ce sera de rechercher en elle-même tous les élémens de force et de vie qui lui restent. Certes les blessures qu’elle vient de recevoir sont profondes et resteront longtemps saignantes ; mais ce serait une véritable défection de patriotisme de croire que la France ne garde pas tout ce qu’il faut pour se relever, si elle le veut, si on la laisse respirer, si les partis se décident enfin à mettre l’intérêt national au-dessus de leurs mesquines passions, si on ne recommence pas, aussitôt qu’on va retrouver un peu de liberté, les mêmes disputes violentes ou frivoles qui nous ont déjà si souvent perdus. Ce qui est bien certain, c’est que notre destinée est désormais entre nos mains, elle est dans les mains de cette assemblée qui est à Bordeaux, et qui reviendra bientôt à Paris, à moins que Paris ne donne des prétextes à ceux qui veulent qu’elle reste dans une ville de province, Versailles ou Fontainebleau. Cette assemblée, de quelque façon qu’on la juge, est évidemment une représentation assez exacte de la France actuelle, d’autant plus exacte que le pays a voté par une sorte de mouvement spontané, que les pressions abusives n’ont pas eu le temps de s’exercer. Qu’il y ait dans cette réunion de sept cent cinquante représentans des partis extrêmes dans tous les sens, des pas-