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peut se retenir dans cet abîme de ruines, comment elle peut tout à la fois défendre sa place dans le monde et raffermir son existence intérieure ; il s’agit en d’autres termes d’opter entre la guerre et la paix, entre un ordre régulier d’institutions libres et les révolutions indéfinies qui préparent ou suivent éternellement les dictatures.

Cette question de la paix ou de la guerre, hélas ! elle n’est plus entière ; à dire vrai, elle était fatalement tranchée dès le jour où les armes tombaient de nos mains, où Paris succombait, non-seulement parce qu’il était arrivé à son dernier morceau de pain, mais parce que la défaite de toutes nos armées de province brisait notre dernière espérance. Ce jour-là, il n’y a point à se faire illusion, tout était déjà fini : l’ennemi était dans la place, il tenait sous son joug nos villes, nos campagnes jusqu’à la Loire, sur cette longue ligne qui va des frontières de l’est aux portes de la Bretagne, et on ne pouvait plus que se préparer à négocier une paix qu’on disputerait courageusement, selon le mot de M. Thiers, en se réservant de ne point l’accepter, si elle devait joindre le déshonneur à l’amertume de la défaite. Oui, sans doute, dans de telles conditions, cette paix devait être dure, on le savait bien d’avance. Les Prussiens n’ont pas besoin de nous le dire, ils ne font pas la guerre pour rien ; nous avions à payer la rançon de nos malheurs, et le chancelier du nouvel empire d’Allemagne n’était pas homme à se refuser l’orgueilleuse satisfaction de pousser jusqu’au bout sa victoire. Tout ce qui pouvait nous être demandé, on l’entrevoyait avec anxiété, et tout ce qu’on pouvait pressentir de plus pénible se réalise tristement. Parmi les conditions qui nous sont faites, il en est dont le seul énoncé doit brûler des lèvres françaises. Il nous faudra livrer les membres palpitons de nos plus chères provinces, trouver dans un pays ravagé de quoi suffire à de colossales indemnités, voir partir l’ennemi chargé de nos dépouilles.

Rien n’est plus cruel, nous le savons bien tous ; le premier mouvement est une révolte d’indignation patriotique, et ceux qui ont eu la terrible mission de négocier la paix ne sont pas les derniers à ressentir la douleur qui va émouvoir toutes les âmes françaises. Ils ont fait évidemment ce qu’ils ont pu pour alléger le fardeau, et, ne pouvant plus rien, ils ont signé avec un courageux désespoir. Ils sont partis pour Bordeaux, allant soumettre à l’assemblée cette œuvre d’une résignation nécessaire. Assurément c’est le plus dur des sacrifices pour notre malheureux pays. Et comment faire cependant ? Il fallait avant tout arrêter cette meurtrière invasion, délivrer la France, lui rendre son indépendance et sa liberté d’action ; il fallait laisser respirer ces populations qui depuis cinq mois voient leurs champs dévastés, leurs foyers outragés, leurs dernières ressources détruites, et qui se lassent à la fin de cette lutte sans espoir, au bout de laquelle elles n’entrevoient que des ruines nouvelles. Ce n’est plus le moment de se payer de déclamations retentissantes et d’illusions vaines ; il ne suffit plus de parler sans cesse à ce