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ne l’ait appliquée qu’à des sujets d’une signification et d’un intérêt purement pittoresques, ou à des thèmes qui, malgré leur caractère dramatique, deviennent par la façon dont ils sont traités l’occasion d’un simple plaisir pour les yeux. Elle pourrait enfin lui demander compte de l’abus d’une facilité qui tantôt s’affiche avec fracas, tantôt se résout en indications équivoques. A quoi bon insister au surplus ? Comment avoir le triste courage de donner des avis à qui ne peut plus les entendre, de reprocher à cette main pour jamais inactive ses emportemens passés ou ses défaillances ? Mieux vaut honorer les efforts trop tôt interrompus, accepter avec une pieuse sympathie ce qui nous reste d’un talent que la mort, et quelle mort ! vient de consacrer.

On se rappelle l’émotion que produisait il y a quelques semaines à peine la nouvelle de cette perte si inattendue, de ce deuil si voisin encore du succès unanime obtenu par Henri Regnault au dernier Salon. Qui savait seulement que le jeune artiste fût à Paris ? On le croyait loin de nos murs assiégés, achevant à Rome ou à Tanger le temps de sa pension. Dès la fin du mois d’août pourtant il s’était mis en route pour la France, et, bien que sa qualité de pensionnaire lui assurât légalement le privilège de l’absence, bien qu’il se trouvât en droit exempt de tout service militaire, il avait eu hâte de venir s’enrôler parmi les défenseurs de son pays. Un autre devoir le réclamait encore. Son père, retenu par ses fonctions d’administrateur de la manufacture de Sèvres dans un lieu que menaçait, que déjà peut-être occupait l’ennemi, pourrait-il sans péril demeurer à son poste, ou, s’il en était chassé, le quitterait-il sans avoir à ses côtés celui qu’il aimait d’une si vive et si orgueilleuse tendresse ? Cruelle déception pour tous deux ! Non-seulement M. Regnault ne put être réuni que pendant bien peu de temps à son fils, non seulement l’investissement de Paris le sépara de lui au bout de quelques jours ; mais, quand les événemens le forcèrent à s’éloigner de Sèvres, il partit sans qu’il lui eût été donné d’embrasser ce fils sur lequel reposaient tant d’espérances, cet enfant bien-aimé qu’il ne devait plus revoir.

Pendant les quatre mois qui s’écoulèrent depuis le jour où Henri Regnault s’essayait pour la première fois au métier de soldat jusqu’à celui où il trouvait la mort dans ce funeste combat de Buzenval, bien peu de momens purent être donnés par lui aux occupations qui d’ordinaire remplissaient sa vie. Et cependant plus d’un croquis tracé en présence et quelquefois sous le feu de l’ennemi, plus d’un dessin improvisé après une station aux grand’gardes ou au retour d’une reconnaissance, prouvent que, si brave soldat qu’il fût devenu, Regnault n’oubliait pas qu’il était peintre, et que, même dans les conditions actuelles, il avait toujours à ce titre des renseignemens à recueillir et des observations à noter. En outre, préoccupé jusqu’au milieu des périls ou des fatigues de la guerre de ce monde oriental si cher à son imagination, si neuf encore, selon lui, même après Delacroix et Decamps, il en traduisait les souve-