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bitante que pût paraître cette levée en masse, il n’y avait presque pas de réfractaires. Ces contingens formaient environ 1/5 ou 2 pour 100 de la population totale. Déduction faite des départemens envahis et des cas impérieux de réforme, l’on pouvait compter sur 400,000 hommes. Leur emploi n’était pas sans difficultés considérables. Il fallait d’abord former les cadres. L’on n’avait pas d’officiers de profession ; on dut s’en remettre à l’élection, qui produisit des employés de commerce, des clercs de notaire, des propriétaires ruraux ou quelques anciens caporaux et sergens de l’armée, pour commander des compagnies, quelquefois même des bataillons. Cette débilité des cadres était une première cause de faiblesse insurmontable. L’apprentissage se fit avec beaucoup de bon vouloir ; mais on prétendit le perfectionner en envoyant ces troupes dans des camps. On sait quelle fut la rigueur exceptionnelle de cet hiver ; ce qu’on ne sait pas assez, c’est quelle fut l’exceptionnelle insuffisance des vêtemens des mobilisés. Ces légions se fondirent et furent en quelque sorte détruites avant de combattre. Donner des fusils à tout ce monde était un singulier embarras. Si nombreux que fussent les arrivages d’Amérique, ils étaient toujours trop lents. Cependant le ministère de la guerre, au lieu de porter tous ses soins sur ces masses d’hommes, songeait encore à en accroître le nombre. Un décret du 2 novembre avait mobilisé également tous les hommes mariés au-dessous de quarante ans, et ce n’était pas là une vaine concession faite aux démagogues des villes du midi ; c’était un projet sérieux que diverses circulaires et divers décrets successifs vinrent réglementer. Les jours de la révision furent fixés dans beaucoup de départemens. L’imagination de M. Gambetta, s’inspirant tout à coup des fameuses lignes de défense de Torrès Vedras dans la guerre d’Espagne, avait conçu un projet grandiose. Un décret du 25 novembre ordonna la création de onze camps pour l’instruction et la concentration des troupes : ils devaient être établis dans le voisinage de grandes villes, et recevoir les contingens de toute catégorie des départemens environnans ; ces camps étaient établis près de Cherbourg, Conlie, Nevers, La Rochelle, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Toulouse, Montpellier, Pas-des-Lanciers, Lyon. Chacun devait pouvoir contenir 60,000 hommes au moins ; les camps de Saint-Omer, Cherbourg, La Rochelle et Pas-des-Lanciers, à raison de leur position près de la mer, devaient pouvoir contenir chacun 250,000 hommes et être appelés camps stratégiques, pour les distinguer des autres nommés camps d’instruction. L’emplacement des camps devait être déterminé et les travaux en voie d’exécution dans les cinq jours qui suivraient le décret. La mise en route des mobilisés et autres contingens pour les camps devait avoir lieu entre le 1er et le 10 décembre pour les mobilisés du premier ban,