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duché du Luxembourg, et la politique d’abstention envers les nations auxquelles il ne fait pas la guerre.

Pourquoi faut-il que notre pauvre humanité se laisse éternellement guider par des chimères ? L’erreur de ceux qui gouvernaient la France depuis dix-huit ans fut de prétendre à la suprématie militaire universelle. L’erreur de l’Angleterre a été de sacrifier le souci de sa défense à l’amour de la paix. L’erreur de l’Allemagne est en ce moment de ravager l’Europe au profit des théories du pangermanisme et d’unité nationale. Et que de sophismes les Allemands n’ont-ils pas entassés à l’appui de cette erreur qu’ils déploreront quelque jour ! Au sortir des tripots de Bade et de Hombourg, ils déclament contre l’immoralité française. Sans cesser de se dire gens pieux et doux, ils brûlent les villages de sang-froid et fusillent les francs-tireurs prisonniers. Ils ont commencé la guerre sous prétexte de se défendre contre l’invasion française, ils l’ont continuée après Sedan par esprit de conquête, et ils l’achèvent en déclarant qu’il leur faut défiler sur les boulevards de Paris par gloriole militaire. Ils sont la nation en armes, comme les Huns le furent jadis. M. de Bismarck l’a dit, et ses paroles sont l’évangile moderne : « ce n’est ni par des discours ni par des votes que l’on améliorera la condition sociale et politique de l’Allemagne, c’est par le fer et par le sang. »

Quant à nous, qui avons horreur du fer et du sang et qui ne croyons pas à la puissance civilisatrice de la guerre, si nous nous consolons par une confiance virile dans les ressources de la France, quelque émus que nous soyons par les malheurs de la patrie, nous nous inquiétons des menaces qui vont peser indéfiniment sur l’Europe. Il nous paraît hors de doute que l’Allemagne, qui a brillé par ses savans, par ses poètes, par son industrie, au temps où l’existence de nombreuses capitales favorisait tous les essors, l’Allemagne, centralisée par le despotisme militaire, se réveillera de ce mauvais rêve d’une unité fantastique ; mais en attendant elle se dispose à introduire dans les destinées de l’Europe une question française, comme il y a eu déjà une question polonaise, une question d’Italie, comme il y a encore une question d’Orient. L’empereur Guillaume, M. de Moltke et M. de Bismarck sont à eux trois la monnaie d’un Napoléon Ier ; ils ont pour levier ce que n’a pas eu ce conquérant, une nation façonnée depuis longtemps au service et à la discipline militaires. Quel plus bel instrument de conquête que le royaume de Prusse, monarchie belliqueuse dont chaque province fut acquise par une bataille, dont chaque citoyen est soldat, dont chaque soldat est une machine obéissante ! Si nous en sommes victimes, les Allemands en sont dupes. Ils ont cru travailler pour l’Al-