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des ministres de guerre. L’honneur et la sécurité de la Grande-Bretagne n’ont jamais tenu qu’une place secondaire dans leurs préoccupations. L’enthousiasme qu’ils inspiraient en arrivant aux affaires s’est évanoui ; la froideur est venue, sinon encore l’hostilité, Est-ce à dire que le parlement va leur faire voir qu’il est temps de céder la place à des hommes d’état plus soucieux de la dignité britannique ? Nous le voudrions, persuadés que la France n’aurait pas de plus ferme appui dans la crise actuelle qu’un gouvernement qui représenterait avec vérité cette noble nation ; mais nous ne devons pas encore espérer cela. Un parlement est moins prompt qu’une nation à reconnaître ses erreurs, et le parlement issu des élections qui furent le triomphe de M. Gladstone et de ses amis satisfera son orgueil en disant que la Grande-Bretagne est « la première des puissances défensives. » Ombre stérile d’une influence évanouie ! L’un de nos hommes d’état les plus fins avait bien raison de dire aux Anglais après la capitulation de Sedan : « Nous serons battus, mais c’est vous qui serez humiliés. »

Il serait banal d’étudier l’histoire, même l’histoire des événemens contemporains, si l’on n’avait l’intention d’en tirer une morale, un enseignement. Il ne nous semble pas difficile de déduire la morale que nous enseigne la situation critique de la Grande-Bretagne à l’époque présente. Nous avons vu chez nous des politiques de fantaisie se croire de sages novateurs, parce qu’ils prêchaient des doctrines singulières de nationalité qui devaient remanier la carte de l’Europe ; on comprend maintenant la fausseté de ces doctrines prétendues historiques, qui ont le passé en leur faveur, mais le présent contre elles, et qui tournent en définitive à notre détriment. En Angleterre, les chambres et les ministères ont adopté la politique égoïste, l’abstention, la paix à tout prix. Les plus hardis, comme M. John Stuart Mill, ont été jusqu’à soutenir que les traités internationaux sont invalides par essence quand ils imposent une diminution de souveraineté, et que la Russie a parfaitement raison de répudier les stipulations onéreuses de 1856. En somme, à quoi tout cela aboutit-il ? La France est écrasée pour avoir revendiqué ses frontières rhénanes. L’Angleterre s’efface du conseil européen parce qu’elle a compté que la paix serait éternelle, et qu’il se trouve que la guerre est imminente. Revenons-en donc, et ce ne sera que sagesse, à la doctrine si longtemps et si injustement bafouée de l’équilibre européen. Celle-là du moins n’a pas fait couler le sang ni entassé des ruines. Ce sera plus tard la punition de M. de Bismarck d’avoir adopté, sans en oublier une, toutes ces funestes théories modernes, d’avoir enseigné le dogme des nationalités à propos de l’Alsace et de la Lorraine, le mépris des traités à l’égard du grand-