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çaise, offrait bon gré mal gré la couronne impériale à son allié de la veille, à son suzerain du lendemain. Le danger d’une Allemagne unie entre les griffes d’un gouvernement autoritaire se révèle déjà pour l’Angleterre non pas seulement dans les allures hautaines du comte de Bismarck, mais aussi dans les paroles inconsidérées des officiers allemands, auxquels il semble avec raison que la Grande-Bretagne, après la France, serait une conquête facile. Ici, comme pour les États-Unis et pour la Russie[1], il convient d’étudier les faits avant d’en tirer des conséquences.

Il y avait peu de jours que le prince Gortchakof avait lancé la circulaire par laquelle il dénonçait le traité de 1856, M. de Bismarck avait à peine eu le temps de faire connaître qu’il désapprouvait le procédé de la chancellerie russe, lorsque tout à coup il manifeste par sa conduite envers le grand-duché du Luxembourg un égal mépris des traités internationaux. Par une note en date du 3 décembre, il reproche au gouvernement luxembourgeois d’avoir violé plusieurs fois la neutralité en faveur de la France, et il termine en déclarant que le gouvernement du roi de Prusse ne se croira plus obligé de prendre en considération, dans les opérations des armées allemandes, la neutralité du grand-duché. Avant d’aller plus loin, il faut dire que les griefs imaginaires sur lesquels s’appuyait le chancelier de l’Allemagne du nord étaient les sympathies avouées de la population luxembourgeoise en faveur de la France, le ravitaillement de la forteresse de Thionville par les chemins de fer grand-ducaux, et surtout le rapatriement par le vice-consul français d’officiers et de soldats évadés après la capitulation de Metz. Bien entendu, M. de Bismarck ne faisait pas entrer en compensation que des détachemens de l’armée allemande avaient maintes fois franchi la frontière du grand-duché sans être arrêtés, et il ne considérait pas non plus comme une infraction à la neutralité de sa part le fait d’avoir retenu sur les chemins de fer allemands quantité de wagons appartenant aux lignes grand-ducales. M. de Bismarck a montré depuis longtemps ce que sont sa logique et sa sincérité ; mais il importe peu, dans le cas du Luxembourg, de savoir si les torts sont réels ou ne le sont pas, car la situation particulière que les traités ont faite à cette province donne en tout état de cause à la note du chancelier allemand un caractère agressif envers les autres puissances européennes. On va le voir par l’historique de ces traités, qu’il est indispensable d’analyser tout d’abord.

Le traité de 1839, auquel les cinq grandes puissances européennes prirent part, garantissait au roi de Hollande la possession du grand-duché du Luxembourg, mais en le maintenant dans la confédération

  1. Voyez la Revue du 15 février.