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plus loin, et il disait que « les ministres qui avaient conseillé à son maître l’érection du royaume de Prusse méritaient d’être pendus. »

Quel est donc le caractère dominant de la politique de Louis XIV ? Est-ce cet abaissement systématique de l’Allemagne dont le prédicateur de la garnison prussienne de Versailles entretenait ses auditeurs le 18 janvier ? Évidemment non. Le dessein capital de Louis XIV a été de recueillir la succession espagnole. Ce plan l’a mis aux prises avec l’empereur en tant que chef de la maison d’Autriche, mais non en tant que chef du corps germanique, dont les intérêts n’étaient rien moins qu’identiques et solidaires. Cependant Louis XIV, égaré par l’orgueil et dévoyé de sa vraie politique, voulut s’élever au-dessus de toutes les puissances de l’Europe. Que l’Allemagne ait souffert dans sa dignité et dans ses intérêts de cette prétention, nul ne saurait le nier ; seulement elle en a souffert comme les autres puissances, et même moins que certaines d’entre elles. C’est surtout la Hollande et l’Angleterre qui ont porté le poids de l’ambition du grand roi. L’Allemagne est peut-être le pays qui a le moins de griefs à faire valoir à cet égard, et cela ressort clairement de l’examen des entreprises directes de Louis XIV contre l’Allemagne.

Après le traité de Nimègue, parvenu au plus haut degré de sa puissance, au moment où le château de Versailles allait devenir la résidence du pouvoir absolu, Louis XIV institua des chambres de réunion, qui en 1679 prononcèrent la réunion à la couronne de certaines villes restées indépendantes en vertu des traités, mais qui en fait étaient des dépendances des provinces rattachées à la France par ces mêmes traités. Cette mesure, dirigée contre tous les voisins de Louis XIV, n’atteignit pas exclusivement l’Allemagne ; elle frappa le duc de Savoie par la prise de Casal, le roi catholique par celle de quelques villes de la frontière septentrionale, l’empire d’Allemagne par l’annexion de Strasbourg. L’occupation de cette ville, qui constitue à peu près tout ce que M. de Bismarck appelle les « conquêtes » de Louis XIV, est certainement le prétexte le plus spécieux de nos adversaires contre nous, et cependant la réunion de Strasbourg, de quelque manière qu’elle s’accomplît, était un fait inévitable ; l’Alsace ayant été incorporée à la France en 1648 par le traité de Westphalie et par les soins de Mazarin, Strasbourg, métropole de cette province, devait tôt ou tard en partager le sort. Cette noble cité d’ailleurs, déjà française de cœur, et qui avait maintes fois donné des témoignages non équivoques de ses sentimens à notre égard, se voyant près d’appartenir à un roi puissant et altier, regretta moins son incorporation définitive qu’elle ne craignit pour ses franchises municipales, en quelque sorte garanties par la suzeraineté purement nominale de l’empire. Louis XIV, en traitant avec elle, promit de respecter les privilèges de la ville,