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vancement de ses affaires personnelles et dynastiques, les princes allemands avaient besoin qu’un intérêt commun, bien défini, distinct de celui des deux rivaux, les mît dans la nécessité d’unir leurs efforts pour se concerter et agir ensemble. La candidature du prince électoral de Bavière pouvait leur être un point de ralliement de cette nature ; en l’appuyant, les membres du corps germanique n’auraient fait que servir la cause de l’un d’entre eux devenue celle de tous, et auraient été appelés à recueillir seuls le fruit de cette action commune. Ainsi ils auraient pu jeter entre eux les bases d’une union durable, formée spontanément, pure de toute pression extérieure, de toute influence non exclusivement germanique. La mort du candidat vraiment allemand ne permit pas que cette épreuve se fît ; le roi de France et l’empereur, chef de la maison d’Autriche, restant seuls en présence, l’intérêt de l’Allemagne n’était plus en jeu, ou il consistait uniquement dans l’affaiblissement des deux compétiteurs l’un par l’autre. En effet, quel que fût le vainqueur, la puissance que la victoire devait mettre entre ses mains était également menaçante, et, si l’Allemagne eût dû choisir, peut-être ses préférences se fussent-elles portées vers le roi de France, car les intérêts de l’empire et ceux de l’empereur étaient fort distincts et d’ordinaire même opposés. L’accroissement de la puissance impériale était toujours un danger pour l’indépendance germanique.

Aussi la plupart des princes allemands se décidèrent-ils pour la neutralité ; trois seulement s’allièrent à l’empereur, et parmi eux l’électeur de Brandebourg, Frédéric III, qui, en échange du secours prêté à la maison, d’Autriche, obtint de l’empereur le titre de roi de Prusse. Il se fit couronner à Kœnigsberg le 18 janvier 1701. C’est sans doute en mémoire de ce fait que son successeur Guillaume a choisi le 18 janvier dernier pour se faire proclamer empereur à Versailles ; il est bon de noter cette coïncidence qui établit un nouveau rapport entre la guerre actuelle et la guerre de succession d’Espagne, et peut jeter quelques clartés sur la manière dont le nouvel empereur interprète l’histoire. Ainsi c’est bien à la faveur d’une guerre contre la France, mais dans l’alliance de l’Autriche et en dehors des intérêts allemands, qu’est né ce royaume de Prusse, plus slave que germanique, plus souvent en lutte avec les rois de Pologne, de Danemark et de Suède qu’avec les rois de France, et qui a pris depuis le rôle de champion de l’Allemagne. L’empereur Léopold ne se douta point qu’il contribuait à l’élévation du plus terrible ennemi de sa maison, d’un ennemi bien plus dangereux que la France, et qui devait un jour supplanter ses héritiers dans l’influence et dans le titre de chefs du corps germanique ; mais le meilleur serviteur de l’empereur, qui était en même temps l’un de nos plus redoutables adversaires, le prince Eugène, voyait plus juste et