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Louis XIV avait un droit naturel d’hérédité à la couronne d’Espagne, droit qu’il aurait pu faire valoir pour lui-même ou transmettre à ses héritiers, n’eût été la double renonciation à la couronne d’Espagne successivement imposée à Anne d’Autriche et à Marie-Thérèse lors de leurs mariages respectifs avec Louis XIII et Louis XIV. Le compétiteur du roi de France, l’empereur Léopold, outre sa parenté naturelle avec les souverains de l’Espagne en raison du lien commun de consanguinité qui les unissait comme descendans de Charles-Quint, pouvait aspirer au trône comme époux de Marguerite-Thérèse, fille de Philippe IV, et sœur de Marie-Thérèse, la femme de Louis XIV ; toutefois il ne réclamait son droit qu’en faveur du second de ses fils, l’archiduc Charles, né d’un second mariage, et qui, étant d’une princesse espagnole, Éléonore de Neubourg, ne pouvait se prévaloir que des droits de son père, acquis par une sorte de substitution. Enfin un troisième compétiteur se présentait, le prince électoral de Bavière, véritable héritier des droits de l’empereur Léopold, car il était issu du mariage de Marie-Antoinette, fille de Léopold et de Marguerite-Thérèse avec le prince électeur de Bavière. Par sa descendance directe des rois d’Espagne, il primait le candidat autrichien ; il primait en outre le candidat français, frappé de déchéance par la renonciation imposée aux reines Anne d’Autriche et Marie-Thérèse. Enfin le peu d’importance de sa dynastie faisait de lui le candidat le plus agréable à l’Allemagne et à l’Europe. Si, au lieu de donner la préférence à l’un des compétiteurs, on cherchait à les satisfaire tous, l’intervention du prince de Bavière pouvait réduire notablement les parts à échoir aux deux maisons rivales de France et d’Autriche dans la succession d’Espagne, et, par cette sorte de neutralisation, tranquilliser l’Europe. Louis XIV lui-même prit l’initiative de plusieurs projets de partage qui vinrent se briser contre la force des choses ou celle des volontés, — la mort du prince de Bavière, les répugnances du roi mourant, Charles II, l’opposition du peuple espagnol, qui réclamait l’intégrité de la monarchie. Après bien des négociations et des essais infructueux, Louis XIV accepta pour son petit-fils la couronne d’Espagne en vertu d’un testament de Charles II ; mais, en maintenant à ce prince ses droits éventuels à la couronne de France, en reconnaissant au fils de Jacques II, qui mourut précisément alors, les droits qu’il avait voulu faire prévaloir par les armes en faveur du père, en commettant encore quelques autres imprudences, Louis XIV s’aliéna l’Europe, et fit éclater une coalition toute prête, pour laquelle l’acceptation pure et simple du testament de Charles II n’eût pu être un prétexte suffisant. Il donna ainsi le signal d’une guerre de douze années, qui se termina par l’établissement définitif de son petit-fils sur le trône d’Espagne, après avoir causé les plus grands