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tendre, ils n’auraient, sauf la déclaration de guerre, qu’ils sont si heureux de pouvoir mettre en avant à toute occasion, aucun grief sérieux à faire valoir contre le gouvernement du 2 décembre.

Mais, chose singulière, si l’on excepte les récriminations dynastiques et presque personnelles du roi Guillaume avant l’entrée en campagne, à peine dirait-on que les Allemands aient eu à se plaindre de Napoléon, et voici que Louis XIV porte aujourd’hui tout le poids du ressentiment germanique ; c’est lui qui a fait tout le mal, c’est presque pour punir Louis XIV, pour renverser l’œuvre de ce roi, mort depuis plus de cent cinquante ans, que l’Allemagne a entrepris cette guerre. Déjà M. de Bismarck, dans une de ses dépêches, avait parlé « des conquêtes injustes » de Louis XIV ; depuis, dans la journée « historique » du 18 janvier, lorsque, dans le château de Versailles, le roi de Prusse fut proclamé empereur d’Allemagne, le prédicateur de la garnison, M. Rogge, beau-frère du ministre de la guerre, a prononcé un discours où, entre autres choses, il a fait ressortir que « c’est dans ces murs, dans ce château de Louis XIV, qu’on avait conçu le plan d’abaisser l’Allemagne. »

Tout est donc expliqué, et nous voilà bien éclairés ; nous avions cru jusqu’ici que, si le plan d’abaisser l’Allemagne avait été médité quelque part, c’était aux Tuileries, qu’en supprimant l’empire d’Allemagne, en substituant au saint-empire romain l’humble confédération germanique dont il s’était déclaré le protecteur, c’est-à-dire le maître, Napoléon, Napoléon seul avait pu froisser, abaisser l’Allemagne. — Eh bien ! non, ce renversement de l’empire d’Allemagne, dont la contre-partie vient de s’accomplir tout près de nous et chez nous, n’est qu’un accident dans la série des méfaits que les Allemands nous reprochent, et qui remontent plus haut : c’est du palais de Versailles qu’est parti le signal de cette longue suite d’attentats contre la grandeur germanique. Louis XIV, qui put bien aspirer à faire parvenir un des siens à la dignité impériale d’Allemagne, mais dont les plus audacieuses entreprises se réduisent à rien, si on les compare à ce qu’a fait Bonaparte, Louis XIV est le véritable organisateur du complot ténébreux dont la France a poursuivi l’exécution avec une criminelle persévérance contre la dignité de l’Allemagne. Ainsi nos adversaires s’en prennent à notre histoire tout entière. En frappant la France moderne de la révolution, ils frappent du même coup la France antérieure à la révolution. N’est-il pas à propos de remonter avec eux dans ce passé déjà lointain, mais que nous ne répudions pas, d’examiner ce que valent ces griefs et d’apprécier l’esprit qui les a dictés ?

Les armées de Louis XIV rencontrèrent les troupes allemandes sur beaucoup de champs de bataille, le fait est incontestable, et ce qui ne l’est pas moins, c’est que, dans la plupart de ces guerres,