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Allemands en la personne de Charlemagne, parce que l’empereur de Constantinople ne défendait pas bien l’église. Or vous avez choisi des empereurs qui, loin de défendre l’église romaine, l’ont attaquée, et vous les y avez aidés. Arrivant à l’empire vieux et sans pouvoirs suffisans, minés tous les jours par les brigues des compétiteurs, les empereurs ne peuvent rien pour défendre l’église et la terre-sainte… » Afin de consoler les électeurs de la perte de leur droit, on leur donnerait des compensations territoriales et pécuniaires, ces dernières prises sur la dîme des églises d’Allemagne. L’empereur à son tour étendrait son pouvoir en prenant la Lombardie, Gênes et Venise, ce qui lui ouvrirait la route de terre, si supérieure à la voie de mer, pour se rendre en Orient. Tout cela, selon Du Bois, ne peut réussir qu’à deux conditions : la première, c’est qu’on établisse la paix perpétuelle entre les princes latins, comme l’auteur l’a expliqué dans la lettre qu’il a remise au roi à Chinon ; la seconde, c’est que le roi s’empare de tout le patrimoine de l’église, à l’exception des manoirs qui serviront à loger la cour papale, et paie au pape en retour un revenu net égal à celui qu’il touche, les dépenses de son état défalquées. De la sorte, le roi de France recevrait l’hommage des rois et des princes, qui sont vassaux du pape pour le temporel. Par là cesseraient les guerres et la superbe des Génois, des Vénitiens, des Lombards, des Toscans et des autres républiques marchandes de l’Italie. Par là enfin s’ouvrirait pour les croisés cette voie de terre, sans laquelle on ne pourra jamais conquérir la terre-sainte, ni la peupler de Latins, ni la garder.

Il est évident que cette pièce fut écrite durant l’interrègne qui s’écoula entre la mort d’Albert Ier d’Autriche, arrivée le 1er mai 1308, et l’élection de Henri VII de Luxembourg, qui eut lieu le 29 novembre 1308. Cela coïncide parfaitement avec l’induction tirée de la lettre de Chinon. Cette lettre fut remise au roi le jour de l’Ascension 1308 (23 mai). Pendant la vie d’Albert, Du Bois semble préoccupé de l’idée que l’empire pourrait être rendu héréditaire. L’interrègne vit se dérouler une crise extrêmement grave dans la constitution allemande. Villani assure que Philippe le Bel voulut faire élire son frère Charles de Valois par Clément V pour remettre l’empire entre les mains des Français, comme il était du temps de Charlemagne, qu’il y fut fort excité par ses conseillers ; que le roi voulut engager le pape à l’aider dans cette entreprise, mais que le pape, averti de son dessein, pressa secrètement les électeurs de le prévenir, comme ils firent, par la crainte de tomber sous la domination des Français. Deux pièces du 11 et du 16 juin 1308 confirment pleinement l’assertion de Villani. L’ambition de Charles de Valois, en ce qui touche la couronne impériale, remontait du reste à des temps plus anciens. Il est probable que, dans le courant