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ché par serment, ne commettrais-je pas un péché mortel, si je cachais la vérité, au préjudice spirituel et temporel de monseigneur le roi et de ses sujets ? Que le roi empêche le retour de ce qui s’est passé, qu’il donne, d’après le conseil de l’église et celui de ses sages conseillers, une compensation aux clercs et au peuple pour tout ce qu’ils ont enduré, afin qu’ils ne lui retirent plus le secours de leurs prières. De sages mesures prises par le roi pour l’organisation de la justice amèneront les clercs et le peuple à pardonner tout ce qu’ils ont souffert, et certainement ils consentiraient à ce que le roi dépensât pour leur salut, en secourant la terre-sainte, tout ce qu’il a exigé d’eux en sus de ce qui lui était dû. On pourrait facilement obtenir ce consentement en prêchant la croisade avec une indulgence plénière du pape. Il serait aussi très utile que monseigneur le roi d’Angleterre, ainsi que les autres princes et nobles qui iront ou enverront en terre-sainte, traitassent de la même manière avec ceux qu’ils ont lésés. S’ils allaient combattre en emportant la souillure qui s’attache à ceux qui retiennent le bien d’autrui, ils seraient vaincus et empêcheraient leurs frères de vaincre. Je crois fermement qu’en entendant les prédications, en recevant l’indulgence plénière, chacun fera au roi remise totale de ce que le roi peut lui devoir. Si quelques-uns, imitant la dureté de Pharaon, s’y refusent, on inscrira leurs noms et leurs réclamations en présence du justicier royal du lieu, afin que ce qu’ils réclament leur soit restitué avec équité. »

Le devoir du roi de France se résume par conséquent en ces trois points : 1° établir une paix perpétuelle dans toute la république des chrétiens, 2° reconquérir et conserver la terre-sainte et l’empire de Constantinople, 3° s’emparer de la puissance suprême de toute la partie du monde chrétien qui reconnaît le pape pour chef spirituel.

Tel est ce curieux traité qu’on peut regarder comme le résumé des idées de Pierre Du Bois. Ce qu’il offre de plus neuf, si on le compare au De abbreviatione, ce sont les idées de Du Bois sur l’instruction publique, notamment sur l’étude des langues orientales. Nous verrons ces idées reprises par le concile de Vienne, sous l’influence de Raymond Lulle. Les grands papes du XIIIe siècle, Innocent III, Alexandre IV, Clément IV, Grégoire X, Honoré IV, avaient eu du reste la même préoccupation. Tous les hommes sensés voyaient ce que des expéditions entreprises sans esprit de suite et avec une déplorable légèreté avaient de frivole ; mais les hommes les plus instruits connaissaient bien peu les véritables conditions du problème. On croyait que des clercs versés dans la scolastique du temps, pourvu qu’ils sussent le grec, auraient raison de l’invincible antipathie des Grecs pour les Latins. On se représentait comme possibles des mariages que la diversité des races, des mœurs, des