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francs. Lorsque les ressources du roi sont au-dessous de ce qu’exige la défense du royaume, il peut prendre ce qui lui manque sur les biens des églises et des personnes ecclésiastiques ; mais admettons que 100,000 marcs d’argent suffisent pour la défense, et que le roi en prenne 200,000, est-il exempt de péché mortel ? Non évidemment, car, cessante causa, cessat effectus. En agissant ainsi sciemment, le roi commet un mensonge, et par ce mensonge il devient fils du diable. Si le roi requiert l’arrière-ban et le secours des églises en alléguant une nécessité qui n’existe pas, au moins dans la mesure où il le prétend, comment ses armes pourraient-elles être heureuses ? L’église, qui se considère comme grevée, ne dit plus alors pour le roi les prières accoutumées. Que le roi commette ces injustices de lui-même, ou par les conseils de ceux qui l’entourent, peu importe. « C’est dans ce sens que disait, en commentant la Politique d’Aristote, maître Siger de Brabant, dont j’étais alors l’élève : Longe melius est civitatem regi legibus rectis, quam probis viris. »

Des abus relatifs au service militaire est née la nécessité (si tant est qu’on puisse appeler nécessité un acte condamnable en soi) d’altérer les monnaies du royaume, altérations par suite desquelles ceux qui ont des rentes en argent ont perdu d’abord le quart, puis le tiers, ensuite la moitié, enfin le tout. « Moi qui écris ces choses, je sais que chaque année j’ai vu mon revenu diminuer de 500 livres tournois depuis qu’on a commencé à changer les monnaies. Je crois aussi, tout bien considéré, que le roi a perdu et perd encore par cette altération bien plus qu’il ne gagnera jamais. La cherté de toute chose s’est tellement accrue que vraisemblablement le prix des denrées ne reviendra plus désormais à ce qu’il était autrefois. Il faut que le roi connaisse dans toute sa vérité cette calamité publique. Je ne crois pas qu’un homme sain d’esprit puisse ou doive penser que le roi aurait ainsi changé et altéré les monnaies, s’il avait su que d’aussi grands dommages en résulteraient. Élevé dans les délices et accoutumé aux richesses, le roi ne peut connaître pleinement la ruine et les innombrables misères de ses sujets, de même que ceux qui ont vécu de longs jours sans connaître la maladie n’en ont aucun souci. »

Que le roi veuille donc examiner comment ses conseillers se sont comportés dans la réclamation du service militaire, s’ils n’ont pas à dessein et pour cause négligé de le réclamer de ceux qui le devaient en l’exigeant des autres, c’est-à-dire en recourant sans nécessité à l’arrière-ban et aux aides de l’église. « Je ne voudrais pas, ajoute Du Bois, qu’on sût que c’est moi qui aurais donné occasion à une telle enquête, car je ne pourrais échapper aux pièges qu’on me tendrait pour me tuer, et plusieurs de mes amis et de mes proches seraient irrités contre moi. J’ai cependant voulu écrire ceci. Moi qui suis avocat des causes de monseigneur le roi, moi qui lui suis atta-