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novation complète de l’enseignement du dessin et des institutions qui le régissent, voilà le devoir principal et le remède, voilà le plus sûr moyen de reconquérir ce que nous avons perdu, au moins en partie, et de recouvrer pleinement nos anciens privilèges. Cela ne saurait suffire assurément pour faire naître les grands artistes, et si de meilleures institutions peuvent favoriser l’éclosion du talent, il va sans dire qu’elles ne donneront le génie à personne ; mais cela suffira pour préserver les jeunes intelligences des dangers de l’incertitude, pour élever le niveau de l’art et par suite celui du goût général. Encore une fois, la chose est grave, puisqu’elle intéresse l’honneur de notre école, la prospérité de notre industrie, et nous comprendrions peu qu’elle n’inspirât à ceux qui ont le devoir et le pouvoir d’agir qu’un intérêt distrait ou quelques simples velléités de zèle.

Qu’on ne nous accuse pas, dans cette question de l’éducation pittoresque, d’exagérer l’influence de l’élément scientifique, de surfaire le prix de ce qui s’apprend au détriment de ce qui s’imagine. Sans doute l’art du dessin n’est pas une géométrie inflexible dont on a pour unique devoir de se mettre dans la tête les théorèmes et de pratiquer mathématiquement les lois ; mais il n’est pas non plus, tant s’en faut, une affaire de pur instinct, et, si l’on était réduit à choisir entre deux abus, mieux vaudrait encore le parti-pris de tout résoudre en préceptes et en règles que la volonté systématique de tout abandonner au sentiment. Le sentiment ! combien d’erreurs, combien d’entreprises défectueuses n’a-t-on pas, depuis un demi-siècle, excusées ou encouragées avec ce mot ! N’est-ce point par une sorte de fanatisme pour les libertés qu’il implique que l’école romantique, comme on disait autrefois, a compromis l’efficacité de ses tentatives et introduit des habitudes de désordre dont nous subissons encore aujourd’hui les conséquences ? Il est clair que dans l’exécution, à plus forte raison dans l’invention de toute œuvre d’art, le sentiment est un agent nécessaire, indispensable ; mais seul il ne suffit à rien, il ne peut avoir toute son utilité qu’à la condition d’être réglé par la réflexion, soutenu et fortifié par le savoir. Quoi que prétendent à ce sujet bon nombre d’écrivains contemporains et quelquefois les artistes eux-mêmes, il n’est pas vrai que l’habileté pittoresque ne soit qu’un don fortuit, le symptôme d’un « tempérament » ou le résultat fatal des circonstances et des milieux ; il n’est pas vrai que, là où il s’agit de rendre la nature et de formuler des idées, la simple émotion puisse tenir lieu du reste, ou que, par je ne sais quel prodige de génération spontanée, le talent surgisse tout armé du jour au lendemain.

Contraste singulier, c’est au pays dans lequel tous les arts ont