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et M. Chevreul, encourageaient personnellement les efforts tentés pour élargir en ce sens le cercle des études, et les signalaient à l’attention des hommes chargés de diriger l’enseignement. D’où vient que, malgré tous ces suffrages, malgré ces actives recommandations, une doctrine aussi digne d’être au moins expérimentée dans nos écoles soit demeurée jusqu’à présent lettre morte ? Si l’on reconnaît que la mémoire a un rôle considérable, une fonction nécessaire dans l’exercice de l’art à tous ses degrés, il semble que la logique exigerait qu’on prît à tâche d’en assurer d’avance et d’en féconder les ressources ; si l’on accorde que la notion de certaines causes cachées, de la construction anatomique entre autres, dépend avant tout de la fidélité des souvenirs, pourquoi refuser de rendre par des épreuves journalières cette science plus accessible et ces souvenirs plus familiers ?

Dira-t-on que l’habitude de consulter sa mémoire peut aisément amener un jeune artiste à se contenter dans ses travaux de l’à-peu-près, le réduire même à une impuissance véritable en face de la nature, lorsqu’il s’agira de la retracer telle qu’elle se présente et d’en envisager les apparences au point de vue rigoureux du portrait ? Sans doute il y a là un danger contre lequel on fera bien de se tenir en garde, mais il ne s’ensuit pas que le seul moyen de s’en préserver soit tout uniment de s’y dérober par la fuite. Qu’on le veuille ou non d’ailleurs, la mémoire interviendra forcément dans l’exécution d’une œuvre d’art quelconque. Même quand tout se borne à l’imitation textuelle du modèle qu’on a devant les yeux, même quand tout résulte de comparaisons faites sur place, n’est-ce pas elle qui agit dans l’intervalle, si court qu’il soit, entre le moment où l’on a regardé ce modèle et celui où l’on en fixe l’image sur le papier ou sur la toile ? Là encore, c’est à ses propres souvenirs qu’on se fie, c’est avec le secours de la mémoire qu’on opère : pourquoi dès lors répudier en principe ce qu’on ne peut dans l’application s’empêcher d’utiliser ? Nous ne prétendons pour cela ni exagérer l’office et les droits de la mémoire, ni substituer dans l’expression du vrai l’interprétation préconçue ou détournée à l’observation directe et actuelle. Il faudrait seulement que, sans changer de fond en comble les procédés d’étude ordinaires, sans sacrifier ce qu’ils ont de légitime et de rationnel, on s’attachât à les compléter par des innovations qui, en permettant à une faculté admirable de s’exercer plus méthodiquement, permettraient aussi à l’esprit d’accroître ses forces, à la conscience de s’interroger de plus près. Dans le domaine de l’art comme ailleurs, il n’y a d’éducation vraiment fructueuse que celle qui prépare les hommes à exercer de l’action sur eux-mêmes, et l’on ne saurait s’y prendre