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velle que nous apprenaient les officiers prussiens : Mac-Mahon était blessé dans les reins d’un éclat d’obus qui avait emporté la croupe de son cheval, le général Lerélier tué par un boulet, l’armée de Metz refoulée sous le fort Saint-Quentin, tandis que l’armée de Châlons venait pour ainsi dire de se dissoudre dans l’Ardenne. Tous les désastres à la fois ! — Et vos journaux, nous disait un général prussien, vont à coup sur donner à ces événemens des reflets de victoires ! Votre presse avec ses informations fausses et ses romans (les bataillons disparus dans les carrières de Jaumont, qui n’existent pas, les cuirassiers blancs de M. de Bismarck détruits, et qui campent à une demi-lieue d’ici, le prince Albrecht tué net et même embaumé, si je ne me trompe, et qui se porte comme vous voyez), votre presse a entretenu en France une confiance qui a paralysé la nation. Il en était de même en Autriche en 1866 ; nous étions éternellement battus par les journaux. Les Autrichiens n’eurent une connaissance exacte de nos succès que lorsque nous arrivâmes au bout du Prater et aux portes de Vienne. Certains de vos journaux nous ont autant servis que deux corps d’armée.

Nous voudrions rendre le ton de politesse légèrement affectée, de politesse d’acier, si l’on peut ainsi dire, qu’avaient ces paroles. À n’en pas douter, la grande préoccupation de nos ennemis est de paraître à la hauteur de la courtoisie française. Le reproche le plus sanglant qui puisse les atteindre est justement celui de barbares. Ils ont une évidente prétention à l’élégance, et comme ils se sentent, en dépit de tout, un peu gauches, surtout devant ces Français dont ils méprisent la légèreté, mais dont ils envient la désinvolture d’esprit, ils s’étudient à remplacer la grâce qui leur manque par une certaine raideur correcte qui ne leur messied point. C’est un des traits de leur humeur que cette tension de leur esprit vers ce but. Cet incessant désir les mène d’ailleurs un peu loin. Plusieurs de ces officiers par exemple prenaient leur café les mains gantées de blanc. Pour être juste et véridique, il nous serait du reste impossible de rappeler une parole, un geste qui ait pu froisser notre amour-propre saignant, notre orgueil national mis à vif. Ces officiers parlaient de la campagne sans emphase, comme si, toutes les opérations terminées, ils pouvaient enfin la juger. Ils l’expliquaient en mathématiciens et en gens de métier, froidement et avec plus de modestie que nous n’eussions pu croire. — Vous êtes assurément le peuple le plus téméraire et le plus chevaleresque, mais la guerre aujourd’hui n’est plus une affaire de chevalerie, et ne ressemble en rien à un tournoi. Nous avons mis à profit deux choses, la science et la nature, les découvertes modernes et les replis de terrains. Notre artillerie est à la fois plus nombreuse et meilleure que la vôtre ; de là notre supériorité. Nous avons exposé chez vous nos ca-