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de tout grade, maîtres, domestiques, descendirent dans les caves ou cherchèrent un asile dans les galeries souterraines attenantes aux serres. Sans doute il était impossible qu’une certaine émotion ne se manifestât point à ces premiers momens. Sans doute, quand deux obus, éclatant presque coup sur coup, vinrent fracasser la serre des orchidées à quelques mètres d’une foule composée en majeure partie de femmes et d’enfans, il y eut des momens d’angoisse et des cris d’effroi ; mais on se fit vite au sifflement, aux explosions des projectiles. Tous ceux qui ont passé quelques nuits dans cette crypte peuvent attester combien le calme s’y rétablit rapidement. Ils se rappelleront longtemps le mélange de résignation et d’insouciance qui y régnait, les observations pleines de justesse, les réflexions fermes et sérieuses qui sortaient parfois des bouches les plus humbles. Les services marchèrent d’ailleurs avec la régularité accoutumée. Malgré ses quatre-vingt-cinq ans, l’illustre et vénérable directeur, M. Chevreul, parcourant de jour l’établissement, veillant chaque nuit dans la serre, donnait à tous un exemple que chacun voulait imiter. Aussi dans tout le personnel du Muséum, si nombreux et si divers, il n’y eut pas un instant de défaillance. L’effet moral tant attendu, tant annoncé par les Prussiens, fut absolument nul. Comme preuve, il suffira de dire que le vitrage des serres a été rétabli, les brèches des galeries fermées en plein bombardement.

Le bombardement du Muséum a présenté quelques circonstances bonnes à signaler. La colline artificielle du grand labyrinthe, qui n’est séparée de la Pitié que par une étroite terrasse et la rue Geoffroy-Saint-Hilaire, fournissait à l’ennemi un point de repère marqué sur tous les plans, sur toutes les cartes. Il en a évidemment fait usage. Les premiers jours, les projectiles tombaient à peu près exclusivement au sud de ce mamelon. C’est pendant cette période que furent frappées les serres, les galeries de zoologie et de minéralogie, l’ambulance élevée dans la grande allée. La maison historique de Buffon, isolée à l’angle sud-ouest du jardin, fut cernée en tout sens par les obus, et ne fut sauvée que par une sorte de miracle. À partir du 19, le tir fut dirigé d’une manière tout aussi constante au nord du labyrinthe. Alors furent atteints les laboratoires et magasins consacrés aux mammifères, aux oiseaux, aux mollusques, aux zoophytes, aux reptiles, aux poissons, aux insectes, le bâtiment de l’administration et quelques-uns des logemens placés dans le voisinage. M. Edwards eut son lit couvert de décombres. Un obus éclata tout à côté du cabinet de M. Chevreul avec des circonstances telles que, s’il n’eût été absent, le doyen des chimistes était tué à sa table de travail. Au reste, grâce aux précautions prises, les dégâts causés par les obus ont été surtout matériels. Pourtant les serres ont perdu des végétaux précieux qui n’étaient