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trop facilement accusé d’injustice ou de partialité. Je me borne à signaler la différence des rôles joués par chacune d’elles dans la contrée qui nous occupe. Les Germains arrivèrent en Prusse en conquérans sans pitié, et imposèrent aux populations une domination qui suscita de nombreuses et terribles révoltes. C’est par le fer et le sang qu’ils assirent leur domination. Les Français apportèrent avec eux une civilisation incontestablement supérieure, les arts, l’industrie, une foule d’élémens de progrès pacifiques. La différence des temps et des circonstances est évidemment pour la plus grande part dans ce contraste. Toutefois, quelles qu’en aient été les causes, le fait est indiscutable, et il n’est pas sans intérêt de le constater.

On croit généralement que, lorsque deux ou plusieurs races d’une même espèce se croisent, le produit est d’emblée et toujours intermédiaire entre les parens. C’est là une grande erreur. Les phénomènes du croisement sont bien autrement multiples et complexes. Chacun des types primitifs peut l’emporter tour à tour et accuser sa prépondérance dans des proportions très diverses. De la combinaison de traits, de qualités, d’aptitudes différentes, sortent à chaque instant des caractères nouveaux, à peu près comme le vert résulte du mélange du jaune et du bleu. Souvent aussi l’atavisme intervient, quelque complet que soit le mélange, et ressuscite en quelque sorte les élémens premiers. À la longue toutefois, l’ensemble se rapproche d’une moyenne tenant plus ou moins des souches originelles tout en ayant acquis son cachet spécial, et la race croisée, la race métisse finit par constituer un type nouveau. Ces phénomènes se sont nécessairement accomplis en Prusse, et nécessairement ils ont éloigné des races germaniques même les classes élevées de la société, même la bourgeoisie prussienne.

Enfin, pour l’homme comme pour les animaux, le sang n’est pas tout dans la constitution d’une race, et le milieu ne perd jamais ses droits. Dans les pays dont nous parlons, le croisement s’est opéré entre deux races locales et deux races immigrantes. Les premières, façonnées depuis des siècles aux influences spéciales du bassin de la Baltique, n’avaient plus de modifications à subir quand vint le moment du mélange. Le Finnois, le Slave, ont pu améliorer leurs conditions d’existence, cultiver leur esprit, élever leur intelligence. Leur nature fondamentale est nécessairement restée la même. Il n’en pouvait être ainsi du Germain de la Souabe, pas plus que du Français originaire du bassin méditerranéen. Tous deux eurent à subir des influences entièrement nouvelles et par conséquent à se modifier. Or l’expérience montre qu’en pareil cas la modification s’opère toujours dans le sens des races locales. Le Germain, le Français, auraient naturellement tourné au Slave ou au Finnois. Les circonstances particulières qui accompagnaient ou mo-