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1851 parut si belle que les souhaits les plus hardis l’ont d’abord rappelée sans aller au-delà. L’année dernière seulement, M. Ernest Picard, s’inspirant des idées d’un agriculteur bien connu du Morbihan, déposa un projet de loi beaucoup plus libéral que ne l’était la loi de 1851. Comme tant d’autres projets, celui-ci est resté dans les dossiers de l’ancien corps législatif. C’est bien encore la représentation élective et permanente de l’agriculture que M. Picard se propose d’organiser ; mais cette fois les électeurs ne sont plus seulement les membres des comices, ce sont les cultivateurs mêmes, propriétaires, fermiers et ouvriers ruraux, dont la liste est dressée dans chaque commune par les soins du conseil municipal. Les autres dispositions sont à peu de chose près semblables à celles de la loi de 1851. Quelle différence cependant entre les deux lois ! Ici, le droit de suffrage est universel et complet ; là, il était subordonné à la nécessité de s’affilier à une association locale, et de payer à titre de cotisation une taxe annuelle plus ou moins importante.

Entre le projet de M. Picard et un retour pur et simple à la loi de 1851, il semble qu’on ne puisse hésiter sur le choix à faire ; toutefois nous ne cacherons pas que le nouveau projet a été vu d’un œil inquiet, soupçonneux, par un grand nombre d’associations agricoles, dont quelques-unes même ont combattu en termes assez âpres l’exposé des motifs du député de l’opposition. Leur idéal était précisément cette loi de 1851, d’ailleurs plus ou moins amendée dans les détails, qui paraissait devoir restaurer leur influence, tandis qu’elles craignaient que l’institution proposée par M. Picard ne produisît un effet tout contraire. À nos yeux, cette crainte est vaine, et, si déjà la plupart des huit cents comices ou sociétés d’agriculture que comptent nos départemens ne vivent plus que d’une vie factice, cela tient d’une part à ce que l’administration impériale avait pris à tâche de les énerver, d’autre part à ce que ces associations elles-mêmes ont rarement bien compris leur rôle. En cherchant avec soin, c’est tout au plus si l’on en trouverait cinquante qui aient un titre sérieux à la reconnaissance des populations rurales, qui servent autre chose que de petites vanités d’arrondissement ou de canton. Leurs séances sont rares, et la direction de leurs affaires était jusqu’ici complètement abandonnée à un bureau présidé de droit par le préfet ou le sous-préfet. Quant aux ressources, elles se composent des cotisations annuelles, dont le maximum dépasse rarement 10 francs pour chaque membre, et qui sont perçues avec une peine et avec des retards infinis. Une partie, parfois la moitié, en est consacrée à payer des frais de poste, de bureau, et l’impression d’un bulletin qui généralement n’est lu par personne. Ces dépenses prélevées, on consacre l’argent qui reste à faire tous les ans ou tous les deux ans un concours pour lequel il est d’usage que le