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sait la mort, la mort furieuse et frappant sans relâche. De l’aube à onze heures du matin, nos soldats résistaient intrépidement, rejetaient dans leurs lignes ces grenadiers poméraniens et ces chasseurs de Munich ; mais, tandis que les nôtres luttaient ainsi en désespérés, voyant se briser contre eux les bataillons ennemis, par une marche d’une rare prudence et d’une hardiesse singulière à la fois, une autre armée prussienne, la plus nombreuse, l’armée victorieuse de Wissembourg et de Wœrth arrivait comme à pas de loup sur le champ de bataille.

C’était l’armée du prince royal, l’armée que Mac-Mahon attendait à Châlons, qu’il eût peut-être anéantie là, et qui, débouchant à Mourmelon pour y trouver nos baraquement fumans encore, sans prendre de repos, subitement résolue à rejoindre l’adversaire qu’elle ne rencontrait pas, s’était aussitôt mise en marche, doublant les étapes, brûlant le terrain, par un de ces coups d’audace comparable à la fameuse marche de flanc qui harassa l’armée prussienne, mais décida la victoire à Sadowa. On attendait cette armée depuis deux jours. Le roi avait attaqué, certain que le prince royal arriverait au jour voulu. Le prince royal avait assurément entendu le canon de Carignan. Il redoubla de promptitude dans la nuit du 31 août au 1er septembre, et son armée, venant de Châlons par Vouziers, passait la Meuse à Donchery au moment même où les Bavarois attaquaient La Moncelle, et où le prince de Saxe tirait son premier coup de canon. Dès lors le prince royal pouvait faire entrer son armée en ligne. Il fit mieux, il fit rapidement longer à ses soldats le cours de la Meuse. Tout en prenant position sur la rive du fleuve, il lançait, contournant le champ de bataille, un corps d’armée sur Floing et Givonne, tandis que la cavalerie, commandée par le prince Albrecht, le frère du roi de Prusse, pénétrait dans les bois de l’Ardenne, et, déployant de Flégneux à Pouru-aux-Bois ses uhlans, ses hussards, ses dragons, cachés, blottis derrière les arbres, attendait nos soldats, qu’on allait ainsi prendre entre trois feux, pour leur couper la retraite.

À onze heures, nos troupes défendent avec un admirable et victorieux acharnement La Moncelle et le terrain de Bazeilles ; elles forçaient, comme on l’a vu, les grenadiers de la garde royale à se replier devant elles à Bubecourt ; elles tenaient en échec, elles allaient vaincre, elles allaient faire reculer ces masses profondes des soldats de Prusse, de Saxe, de Baden et de Wurtemberg, toute l’Allemagne en un mot, lorsque brusquement, à onze heures, le canon du prince Fritz ouvre son feu sur Floing, sur Givonne, écrase de loin nos combattans étonnés, effarés de cette canonnade inattendue, de cet ennemi nouveau qui accourt avec des bataillons plus épais