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comme au temps des croisades ou des invasions des barbares, et de convertir la lutte armée d’un moment en une guerre qui n’aurait pas de fin.

Les grandes puissances européennes, y compris la Prusse, déclaraient au congrès d’Aix-la-Chapelle, le 15 novembre 1818, leur invariable résolution de ne jamais s’écarter, ni entre elles, ni dans leurs relations avec d’autres états, de l’observation la plus stricte des principes du droit des gens, principes, disait-on, qui peuvent seuls garantir efficacement l’indépendance de chaque gouvernement, un état de paix durable, et la stabilité de l’association humaine. Le congrès de Paris en 1856 semblait avoir converti cette résolution en une loi positive de l’Europe moderne. Tous ces bienfaits, conservateurs de la fraternité des peuples, seront perdus, si l’Europe n’y avise. Espérons que la réclamation du monde civilisé y ramènera un jour et bientôt des peuples égarés ; mais en attendant que d’autres violations du droit et du bon sens nous pourrions signaler ! Cet enlèvement d’un magistrat de Versailles traduit devant un conseil de guerre d’Allemagne pour avoir donné de ses nouvelles à sa mère, demeurée à Paris, en une lettre qui avait dû franchir les lignes ennemies ! Ici l’opinion a déjà triomphé ; l’ennemi n’a pas osé faire juger M. Raynal par le conseil de guerre, comme il en avait annoncé la volonté. Et l’enlèvement inqualifiable de M. Thénard, en Bourgogne, à titre d’otage responsable du sort de marins prussiens légitimement amenés par nos croisières à Cherbourg ! Je dis légitimement, car la loi prussienne est à cet égard textuellement la même que la loi française, et la garantie de la régularité des prises maritimes exige même qu’il en soit ainsi, afin que le témoignage des marins capturés puisse être entendu par les juges chargés de prononcer sur la légalité des prises. Suivant les lois française, anglaise, hollandaise et italienne, un capitaine capteur serait même en délit, s’il n’amenait pas devant le juge des prises ces témoins du fait de la capture, et s’il leur donnait une liberté qui priverait la justice d’un moyen d’enquête et de vérification. La Prusse a tenu une étrange conduite dans cette affaire ; elle a voulu terrifier, il n’y a pas d’autre explication possible. Je ne parlerai point de cette variété inouïe d’otages qui consiste à placer des prisonniers ou des Français enlevés à leur domicile comme une sorte de blindage humain sur des wagons menacés du feu des francs-tireurs. J’aime à croire que l’accusation est aventurée. Je n’ai découvert aussi aucun renseignement digne de confiance sur l’imputation plus grave d’une exécution militaire pratiquée en masse, a-t-on dit, sur les prisonniers de Soissons : je veux douter de l’exactitude des détails donnés à ce sujet ; mais puis-je taire la prétention de faire juger par des